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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

le saisissait et l’enivrait. Comme Michelet, Renan a le sens instinctif de la vie historique. Il « voit sous terre et discerne des bruits que d’autres n’entendent pas ». Il possède au plus haut degré cette faculté capitale de l’historien qui consiste à « savoir comprendre des états très différents de celui où nous vivons ».

L’intelligence et le sentiment des formes successives qu’a prises l’esprit humain, Renan les porta de préférence dans l’histoire religieuse. Au sortir du séminaire, sa vocation lui apparaissait déjà toute tracée : c’était de poursuivre ses recherches sur le christianisme avec toutes les ressources de la science laïque. Pour faire l’histoire d’une religion, deux conditions lui semblent nécessaires, qui se réalisaient l’une et l’autre en lui : il faut ne plus y croire, mais il faut y avoir cru, car nous ne comprenons jamais bien que le culte qui a provoqué chez nous les premiers élans vers l’idéal. « On ne doit écrire, a-t-il dit, que de ce que l’on aime. » Il pratiqua lui-même cette maxime en consacrant son existence tout entière à écrire le récit des origines chrétiennes dans un esprit de critique sévère et de pieuse sympathie.

Si cette sympathie allait plutôt au christianisme, Renan n’en excluait aucune religion. Son aptitude à comprendre toutes les idées, à se représenter tous les états de conscience, à éprouver comme par contagion tous les sentiments, lui fait goûter et aimer, non seulement dans chaque forme religieuse, mais encore dans chaque philosophie, ce qu’elles peuvent contenir d’approprié aux instincts, aux besoins, aux aspirations de l’âme humaine. Et c’est de là que procède son scepticisme. Il ne croit pas au vrai absolu, et la meilleure méthode pour atteindre un vrai relatif lui paraît être de chercher quelque terme moyen entre les solutions opposées, de concilier deux adversaires en faisant faire à chacun la moitié du chemin vers l’autre. La vérité, selon lui, réside tout entière dans les nuances. Entre l’affirmation, dont la brutalité lui répugne, et la négation, qui n’est qu’une affirmation retournée, il se tient en équilibre. Au fanatisme