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LA CRITIQUE.

de l’une et de l’autre il oppose également son doute inébranlable. Si les origines de la religion chrétienne l’ont attiré plutôt que l’histoire ecclésiastique, c’est qu’il se sentait un goût particulier pour les recherches dont le résultat ne saurait être que d’entrevoir des possibilités et des vraisemblances, pour « ce qui ne peut s’exprimer avec les apparences de la certitude ».

Dans une nature comme la sienne, le scepticisme tourne aisément au « dilettantisme ». Peut-être Renan est-il surtout un artiste. Tandis que la métaphysique aspire vainement à renfermer l’infini dans un cadre limité, l’art, qui seul est infini, lui paraît « le plus haut degré de la critique ». Et cette conception de l’art, à laquelle il arriva de bonne heure, s’accorde chez lui avec un exquis sentiment du beau. À douze ans, captivé par la grâce de la petite Noémi, il entrevoyait déjà la beauté « comme un don tellement supérieur, que le talent, le génie, la vertu même, ne sont rien auprès d’elle, eu sorte que la femme vraiment belle a le droit de tout dédaigner puisqu’elle rassemble, non dans une œuvre hors d’elle, mais dans sa personne même, tout ce que le génie esquisse péniblement en traits faibles, au moyen d’une fatigante réflexion ». Sa défiance de toute affirmation n’eût fait de lui que le plus impartial et le moins tranchant des critiques ; la séduction de l’art en fît un « dilettante ». Quand le critique suspend son jugement, le dilettante se joue dans les doutes du critique. Aux yeux du dilettante, l’univers n’est plus un problème qui sollicite l’intelligence, mais un spectacle qui amuse la curiosité. Les religions se présentent à lui comme des idoles, qui toutes ont leur charme et leur grâce propre. En se vouant à l’étude des conceptions religieuses, Renan savait bien que les dieux passent comme les hommes ; mais chaque forme de culte lègue après elle un idéal de la beauté que l’art ne laisse pas périr. L’homme a pour fin de « dépasser les vulgarités où se traîne l’existence commune », et c’est par l’art que nous les dépassons. Renan pardonne à l’Italie du xvie siècle sa corruption morale en faveur des grandes et belles choses