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LE ROMAN.

Victor Hugo lui-même, tout en restant fidèle au roman historique, où son merveilleux pouvoir d’évocation se déploie à l’aise, ne cherche plus ses cadres dans les siècles lointains de notre histoire. Le choix de sujets plus modernes, ou même presque actuels, n’est peut-être pas uniquement dû à des préoccupations sociales et politiques.

Chez George Sand, l’influence réaliste se marque, dans les œuvres de sa vieillesse, par une manière plus simple et plus vraie. Ce ne sont plus ni les romans à grandes passions, ni les romans à thèses : l’auteur d’Indiana et du Meunier d’Angibault, sans abandonner sa conception idéale du monde et de l’art, prend ses personnages dans l’humanité moyenne et ses sujets dans la vie ordinaire. Jean de la Roche, le Marquis de Villemer, tiennent un juste milieu entre les inventions romanesques ou les expansions sentimentales de sa manière antérieure et la prosaïque crudité, la sèche indifférence du réalisme contemporain.

Parmi les talents nouveaux qui se rattachent plus ou moins directement à l’école idéaliste. Octave Feuillet est sans contredit le plus distingué. Les charmantes histoires qu’il raconte avec tant d’agrément se passent dans un monde imaginé à souhait pour la délectation des âmes pures. Le Roman d’un jeune homme pauvre est son chef-d’œuvre dans ce genre charmant, tout fleuri de grâces chevaleresques et d’aristocratiques vertus. L’auteur se préoccupe beaucoup moins de peindre exactement la vie contemporaine que de présenter à la bonne compagnie, dont il est le romancier de prédilection, une image d’elle-même, assez fidèle sans doute pour qu’elle puisse encore s’y reconnaître, mais surtout assez embellie et poétisée pour qu’elle s’y complaise. Et ce ne sont guère en ce milieu patricien que belles âmes et personnages d’élite. À peine si quelques figures discrètement esquissées nous empêchent çà et là d’oublier qu’il y a sur cette terre, même dans le monde le mieux pensant et le plus choisi, autre chose que des générosités sublimes ou d’exquises délicatesses. Type des héros qu’Octave Feuillet aime à mettre en scène, le « jeune