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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

homme pauvre » réunit en sa personne toutes les supériorités et toutes les séductions. Un vieux domestique le reconnaît pour marquis rien qu’à la distinction de ses manières. Il incarne en lui l’honneur, le désintéressement, l’héroïsme ; mais cela ne suffit pas encore : il est aussi le modèle des écuyers. Le seul défaut de ce parfait gentilhomme, c’est sa perfection même, que tout l’art du romancier a quelquefois peine à sauver de la fadeur.

Lorsque le roman contemporain eut été renouvelé par une école plus soucieuse d’exactes peintures, Octave Feuillet sentit que ses fictions innocentes n’étaient plus de mise, qu’il lui fallait compter avec le besoin de réalité vive et franche qui transformait sous ses yeux la littérature tout entière. Aux élégants proverbes, dont la grâce un peu mièvre et la précieuse moralité charmaient les salons et les châteaux, succède alors cette Dalila où son talent révèle une aptitude toute nouvelle à peindre la passion jusque dans ce qu’elle a de plus frénétique et de plus dégradant. Et, de même, aux aimables imaginations d’un idéalisme spécieux et captivant, mais trop chimérique après tout pour donner l’impression du vrai, succèdent des romans où l’influence du réalisme se traduit non seulement par une touche plus forte, mais aussi par une observation plus exacte. Voici, dans Monsieur de Camors, le type de l’homme « supérieur » qui, se mettant au-dessus des lois vulgaires, ne reconnaît d’autre morale que celle de l’honneur mondain, et n’assigne d’autre but à l’existence que d’en jouir sans scrupule el sans remords. Comme le Jeune homme pauvre caractérisait la première manière d’Octave Feuillet, Monsieur de Camors caractérise la seconde. Il y a mis toute la dose de réalisme compatible soit avec son tour d’esprit et sa conception propre de l’art, soit avec les habitudes et les convenances du public auquel il s’adresse. Ses œuvres postérieures sont conçues dans le même esprit : ce qui en fait l’originalité, c’est justement qu’il y peint des passions naturellement intempérantes dans des personnages chez lesquels une parfaite tenue, une exquise urbanité de façons et de langage