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LE ROMAN.

en dissimulent la crudité foncière sous de séduisants dehors S’il rompit de bonne heure avec un optimisme candide, il resta toujours dévot à certain idéal de culture et de politesse sociale en dehors duquel son talent se sentirait comme dépaysé. Le réalisme même d’Octave Feuillet, si tant est que le mot puisse lui convenir, est tout aristocratique.

Ce qui le distingue surtout des réalistes contemporains, ce qui marque sa dissidence jusque dans les œuvres les plus fortes qu’il ait écrites, ce ne sont pas ses prédilections exclusives pour la société élégante, non moins « réelle » après tout que l’autre, c’est un parti pris dogmatique qui ne saurait se concilier avec la représentation fidèle des hommes et des choses. Les intentions trop visibles du moraliste font suspecter en lui l’impartialité de l’observateur. Défenseur attitré du catholicisme, de ce catholicisme superficiel et absolu qui règne dans les salons, il invente à plaisir des événements et des personnages auxquels il confie le soin d’en glorifier les doctrines. Pourquoi M. de Camors se perd-il ? Parce qu’il ne croit pas. Pourquoi, dans l’Histoire de Sibylle, Gandrax est-il frappé d’un coup d’apoplexie ? Parce que ce matérialiste vient de nier Dieu. Pourquoi, dans la Morte, Sabine empoisonne-t-elle Mme de Vaudricourt ? Parce qu’elle n’a pas été élevée au Sacré-Cœur. Laissons de côté ce qu’il y a d’ingénument brutal dans cette philosophie ; outre que l’orthodoxie catholique d’Octave Feuillet est par elle-même en désaccord avec l’esprit général de l’école réaliste, il y a déjà répugnance, quelque opinion que l’on professe, entre une étude sincère de la vie et la préoccupation de moraliser, de démontrer, de chercher, non pas des documents, mais des arguments.

Si Feuillet n’en a pas moins subi l’influence réaliste, par laquelle le genre romanesque, dont le nom même annonçait jusqu’à notre temps des aventures fictives et des personnages inventés à plaisir, un jeu de l’imagination ou un rêve d’idéal, se transformait en instrument d’une vaste enquête