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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

vrai, et la première condition de la vérité, c’est justement de représenter les choses pour elles-mêmes, de bannir toute arrière-pensée, toute préoccupation étrangère qui risque de troubler notre vue et de fausser notre jugement. La littérature « morale » ne lui répugne pas moins que la littérature « sensible ». Il la répudie au nom de la science aussi bien qu’au nom de l’art. Si l’art, ayant sa propre raison en lui-même, ne doit pas être considéré comme un moyen, la science, d’autre part, ne saurait reconnaître nulle valeur à des témoignages qui n’offrent même pas la garantie d’une observation impartiale. Considéré, non plus comme une œuvre de fantaisie qui a pour but de divertir les oisifs, mais comme une description fidèle et sincère de la vie humaine, le roman ne doit se faire le complice d’aucune théorie. La moindre trace de tendances préjudicielles chez l’auteur nous le rend suspect d’avoir à plaisir combiné des événements imaginaires, auxquels il était par trop facile et non moins vain de demander la justification d’une thèse. Son œuvre y perd à la fois toute vraisemblance et toute portée. Elle ne fera ni illusion comme œuvre d’art, ni autorité comme œuvre de science. D’ailleurs, quelque génie que l’on mette à développer une fable, rien de plus aisé que d’en imaginer une autre qui la démentira. Un cas particulier ne prouve rien, et la loi que vous prétendez en tirer n’a devant la science aucune valeur.

Ce n’est pas seulement par « son objectivité » que l’auteur de Madame Bovary est en opposition directe avec le romantisme : comme Balzac, Flaubert subordonne la psychologie à la physiologie ; ce qui l’intéresse avant tout, ce qu’il s’entend à observer et à peindre, c’est le milieu physique où se développent ses personnages, ce sont leurs instincts et leurs appétits, tout ce qui dépend en eux de la complexion et des humeurs. Fils et frère de médecin, il fait du roman une sorte d’anatomie. Il explique les caractères par les tempéraments, la vie morale par les influences du sang et de la chair. Il ne croit pas que la personne humaine soit capable de réagir contre ces influences. Où donc trou-