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LE ROMAN.

verait-elle l’énergie nécessaire ? Pour Flaubert il n’y a point de sphère exclusivement psychique qui recèle des forces autonomes. Avec Taine et toute l’école nouvelle il croit que l’homme se développe comme une plante. La psychologie étant une branche de l’histoire naturelle, le romancier procède à la façon du botaniste, sans imaginer, par delà le monde sensible, je ne sais quelles puissances miraculeusement soustraites à l’empire des lois physiques. L’observation morale de Flaubert se borne aux sentiments et aux passions dont les circonstances extérieures et matérielles peuvent rendre compte. Il est psychologue si l’on entend par là qu’il excelle à démêler dans ses personnages les effets de la race et du milieu sur leur activité intérieure ; il est psychologue, mais comme un déterministe peut et doit l’être.

Tandis que les romantiques idéalisaient la nature humaine, Flaubert se pique de la peindre telle quelle sans y rien ajouter. Ses personnages sont des types, si l’on veut, mais des types de la réalité la plus commune. Leur sottise, leur égoïsme, la fadeur de leur existence, voilà ce qu’il nous a rendu. Il faut, pour nous intéresser à cette écœurante mesquinerie, tout le relief avec lequel son art l’exprime. Dans Madame Bovary nous ne trouvons pas un seul personnage, je ne dis pas qui nous inspire quelque sympathie, mais qui se distingue même d’une médiocrité universelle. Dans l’Éducation sentimentale, dans Bouvard et Pécuchet, Flaubert s’acharne avec une infatigable patience à décrire la bêtise humaine, et cela chez les premiers hommes venus, dans ce qu’elle a de plus ordinaire et de plus routinier, de si commun que, bien des fois, elle risquerait de passer inaperçue. Ce qu’il peint surtout dans la société contemporaine, ce sont des figures insignifiantes par elles-mêmes, ternes, ingrates, d’une banalité continue et monotone. Il se tient en garde contre tout idéalisme, contre celui du mal non moins que contre celui du bien, et c’est par réaction contre les héros ou les monstres romantiques qu’il peuple ses romans de personnages neutres et