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LE ROMAN.

Sa haute taille, ses larges épaules, sa face colorée, ses longues moustaches pendantes, le faisaient comparer à un ancien « roi de la mer ». Il avait le geste ample, la voix éclatante, l’allure théâtrale, quelque chose de formidable et de truculent. Son costume achevait cette impression ; il protestait contre la routine et la banalité des mœurs bourgeoises, non seulement par sa façon de se tenir, de marcher, de crier et de rire, mais jusque par la forme de ses chapeaux. Et ces dehors ne trompaient pas. Il y avait dans son âme le mépris de la vulgarité, ce besoin de pompes grandioses, d’étrangeté superbe et rutilante, qu’annonçaient déjà sa physionomie, son allure, sa mise, toute sa personne. C’était un paladin romantique. Faisant retour sur son adolescence, il en a plus d’une fois remémoré les glorieuses chimères, les rêves extravagants et sublimes : dans cette exaltation sentimentale, reconnaissons avec lui l’influence du romantisme, qui persista jusqu’au bout chez le maître du « naturalisme » contemporain On le croit insensible : ses nerfs sont toujours frémissants ; il se compare à un écorché. On dirait qu’il se désintéresse complètement de ses créations, et les personnages qu’il met en scène l’affectent, le poursuivent, se mêlent à son existence ; en racontant l’empoisonnement d’Emma Bovary, il a dans la bouche le goût de l’arsenic. On se le figure comme un pessimiste chagrin et renfrogné : jamais homme ne fut naturellement plus enthousiaste, plus généreux, plus fervent de sympathie et d’admiration. On le prend pour un émule de Champfleury, et ce réaliste est un hugolâtre fanatique, ce peintre des Homais et des Bouvard rend un culte au chantre d’Eudore et de René.

C’est par ses besoins instinctifs de grandeur, par tout ce qu’il y avait en lui de dithyrambique, que nous nous expliquons des œuvres comme Salammbô et la Tentation. Après Madame Bovary « on pressait l’auteur, écrit Sainte-Beuve, d’assurer son précédent succès par un autre un peu différent, mais sur ce même terrain de la réalité et de la vie moderne ; et, pendant qu’on l’attendait sur le pré chez nous.