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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

quelque part en Touraine, en Picardie, ou en Normandie encore," il était parti pour Carthage. » Faut-il voir là je ne sais quelle ironie d’un artiste indépendant et fier ? Ce qu’il voulait en faisant Salammbô, c’était se tirer du prosaïsme contemporain, satisfaire à son goût des prestigieux décors et des légendes grandioses, c’était, comme il le dit lui-même, se donner pleine licence de hurler tout à son aise. En choisissant le sujet de Madame Bovary, il avait obéi à un parti pris réaliste ; en choisissant celui de Salammbô, il se laissait guider par ses instincts. Salammbô, quand il l’entreprit, devait être un poème plutôt qu’un roman ; toutes les phrases, dans la première rédaction, commençaient par des et, et ce n’est pas sans peine que son ami Bouilhet lui fit effacer ces conjonctions épiques. Il semble qu’après chacun des romans dont il emprunte les données à la vie réelle Flaubert ait éprouvé un irrésistible besoin de la fuir, d’en détourner ses yeux, d’en débarbouiller sa plume, faite, non pour calquer minutieusement les trivialités bourgeoises, mais pour retracer les scènes éclatantes et pompeuses que son imagination de poète évoquait dans les prestigieux lointains de la mythologie ou de l’histoire. À Madame Bovary succède Salammbô ; Saint Antoine suit l’Éducation sentimentale ; Un cœur simple a pour contre-partie Hérodias et Saint Julien l’Hospitalier. Enfin, s’il méditait, sur le déclin de sa vie, un grand roman de mœurs modernes où se serait appliqué l’observateur minutieux et sévère, il avait réservé, d’autre part, à « cette vieille ganache de romantique » qui était en lui un cadre dans lequel pût se déployer sa faculté épique, un récit de la bataille des Thermopyles, récit à la fois simple et grand, superbe et terrible, non pas élude d’archéologie, mais poème héroïque et symbolique, dont l’idée, nous dit-on, le jetait en un violent enthousiasme.

Même quand il prend pour héros les plus vulgaires personnages, et pour sujets les platitudes de la vie contemporaine, son romantisme natif s’accuse encore jusque dans cette peinture de mesquineries et de banalités qui l’écœurent. Les réalistes reproduisaient platement la platitude : dans la