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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

compris votre existence, ne vous semblent pas avoir d’autre utilité. » La « littérature », qui fut sa seule passion, il la faisait consister tout entière dans la forme. « De la forme naît l’idée », répétait-il, et les Goncourt racontent qu’il leur lut, tout un après-midi, de sa voix tonitruante et avec des « coups de gueule des théâtres du boulevard », un roman, écrit en 1848, qui n’avait d’autre titre sur la couverture que Fragments de style quelconque. Il disait un jour à Théophile Gautier : « C’est fini, je n’ai plus qu’une dizaine de pages à écrire, et j’ai toutes mes chutes de phrases ». Pour lui, la forme avait son prix en elle-même, indépendamment de la pensée, par la seule vertu des mots et du rythme. Au commencement d’Un cœur simple, nous raconte un de ses disciples, le dernier mot d’un alinéa, servant de sujet au suivant, prêtait à une amphibologie. On lui signala ce défaut : après s’être longtemps évertué, finalement, comme il ne trouvait pas : « Tant pis pour le sens, dit-il : le rythme avant tout ! » Portant dans sa théorie du style une sorte de mysticisme, il croyait que chaque idée avait son expression unique, et que cette unique expression ne pouvait être la plus juste sans être à la fois la plus harmonieuse et la plus plastiquement belle. À ses yeux, le substantif formait avec son épithète un tout absolu. Il voyait dans une période bien faite le plus solide des édifices. Il soupçonnait entre les mots des rapports nécessaires, quoique occultes, et dont l’artiste seul a l’intuition. La forme étant tout pour lui, il s’acharnait à la recherche d’une perfection dont l’idée le tourmentait jusqu’à ce qu’il y fût parvenu. Il cherchait avec rage, convaincu qu’il n’avait pas trouvé tant que la beauté des vocables, la richesse des sons, l’harmonie des cadences, ne procuraient pas à son oreille une pleine et entière satisfaction. Il ne se pardonnait pas la plus légère tache, il noircissait une page pour effacer quelque hiatus. « Flaubert a un remords qui empoisonne toute sa vie, disait Gautier, c’est d’avoir accolé dans Bovary deux génitifs l’un sur l’autre : Une couronne de fleurs d’oranger. » On nous le représente passant les nuits à sa table de travail, tantôt compris votre existence, ne vous semblent pas avoir d’autre utilité. » La « littérature », qui fut sa seule passion, il la faisait consister tout entière dans la forme. « De la forme naît l’idée », répétait-il, et les Goncourt racontent qu’il leur lut, tout un après-midi, de sa voix tonitruante et avec des « coups de gueule des théâtres du boulevard », un roman, écrit en 1848, qui n’avait d’autre titre sur la couverture que Fragments de style quelconque. Il disait un jour à Théophile Gautier : « C’est fini, je n’ai plus qu’une dizaine de pages à écrire, et j’ai toutes mes chutes de phrases ». Pour lui, la forme avait son prix en elle-même, indépendamment de la pensée, par la seule vertu des mots et du rythme. Au commencement d’Un cœur simple, nous raconte un de ses disciples, le dernier mot d’un alinéa, servant de sujet au suivant, prêtait à une amphibologie. On lui signala ce défaut : après s’être longtemps évertué, finalement, comme il ne trouvait pas : « Tant pis pour le sens, dit-il : le rythme avant tout ! » Portant dans sa théorie du style une sorte de mysticisme, il croyait que chaque idée avait son expression unique, et que cette unique expression ne pouvait être la plus juste sans être à la fois la plus harmonieuse et la plus plastiquement belle. À ses yeux, le substantif formait avec son épithète un tout absolu. Il voyait dans une période bien faite le plus solide des édifices. Il soupçonnait entre les mots des rapports nécessaires, quoique occultes, et dont l’artiste seul a l’intuition. La forme étant tout pour lui, il s’acharnait à la recherche d’une perfection dont l’idée le tourmentait jusqu’à ce qu’il y fût parvenu. Il cherchait avec rage, convaincu qu’il n’avait pas trouvé tant que la beauté des vocables, la richesse des sons, l’harmonie des cadences, ne procuraient pas à son oreille une pleine et entière satisfaction. Il ne se pardonnait pas la plus légère tache, il noircissait une page pour effacer quelque hiatus. « Flaubert a un remords qui empoisonne toute sa vie, disait Gautier, c’est d’avoir accolé dans Bovary deux génitifs l’un sur l’autre : Une couronne de fleurs d’oranger. » On nous le représente passant les nuits à sa table de travail, tantôt im-