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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

avec son papillotage d’élégances mignardes et d’artificieuses coquetteries, et dans le xviiie siècle ce sont les mœurs qu’ils voulurent décrire, en mettant à profit non seulement les livres, les correspondances, « le cabinet noir du passé », mais aussi les estampes, les bois, les cuivres, les meubles, les étoffes, tout ce qu’une époque marque de son empreinte. Leur souci dune vérité complète et scrupuleuse devait bientôt les conduire à des monographies contemporaines ; quand ils se firent romanciers, le roman ne fut pour eux qu’un cadre à l’analyse minutieusement exacte des choses et des hommes qu’ils avaient sous les yeux.

Leur maxime favorite est : « On ne fait bien que ce qu’on a vu ». Ils réduisent l’élément « romanesque » au minimum de ce qui est indispensable. Ils appliquent leur imagination non pas à inventer, mais à peindre avec le plus de vivacité possible ce qu’ils ont observé autour d’eux. Par là ils méritent bien le nom de réalistes. « Ce qui fait, dit Edmond, le romancier original, c’est la vision directe de l’humanité », et, dans son avant-propos des Manifestes et préfaces, il revendique pour son frère et pour lui, comme leur meilleur titre de gloire, le mérite d’avoir « apporté à une figure la vie vraie donnée par dix ans d’observation sur un être vivant ». La vérité à laquelle les Goncourt visent est celle du moment même, celle qu’ils surprennent toute vive et qu’ils notent au jour le jour. Ils appliquent pour ainsi dire à la littérature les procédés de la photographie instantanée. Ils reproduisent la société de leur temps dans l’infinie multiplicité des détails les plus minutieux que leur plume a fixés au jour le jour, avant que l’impression ne s’en fût affaiblie. Qu’il s’agisse des « basses classes » ou de l’aristocratie, ils ont eux-mêmes observé de leurs yeux tous les personnages qu’ils peignent comme tous les milieux qu’ils décrivent. Les pages de leur Journal à la date de juillet et d’août 1862 « sont l’embryon documentaire » avec lequel, deux ans après, ils composèrent Germinie Lacerteux, dont l’héroïne avait été étudiée par eux en service chez une vieille cousine ; et, d’autre part, Chérie, roman réaliste