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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

élégances, de la richesse, du pouvoir, de la suprême bonne compagnie » ; et cette monographie a été écrite « avec les recherches qu’on met à la composition d’un livre d’histoire ». Le roman des Goncourt « s’impose les devoirs de la science ». Il est la mise en œuvre de « documents humains » ; et ce mot, dont on a depuis fait abus, Edmond en réclame la paternité, parce qu’il y voit « la formule définissant le mieux et le plus significativement le mode nouveau de travail de l’école qui a succédé au romantisme ». On reproche leurs crudités aux auteurs de Germinie Lacerteux et de la Fille Élisa ; mais Germinie n’est point « la photographie décolletée du plaisir », c’est « la clinique de l’amour », et la Fille Élisa se donne pour un livre « austère et chaste », où l’auteur a parlé quelquefois comme un médecin. Psychologique, physiologique, pathologique, sociologique, le roman, tel que les Goncourt l’entendent, est une œuvre de science exacte. Ainsi s’explique, dans la plupart de leurs livres, le manque d’incidents. Ils réduisent l’action au strict nécessaire. Ils veulent que toute l’attention se porte sur l’étude des caractères et la description des mœurs. S’ils font profession de dédaigner le théâtre, « ce temple de carton de la convention », c’est parce que l’intérêt grossier de l’intrigue y prime cet intérêt supérieur auquel ils visent. Une langue littéraire parlée, voilà la seule innovation qu’ils s’attribuent dans le drame, la seule aussi dont le drame leur paraisse susceptible. Edmond tirera une pièce de Germinie Lacerteux ; mais, trois ans auparavant, il disait en propres termes : « Je ne crois pas au théâtre naturaliste ». Un genre qui est naturellement tout action ne laisse aucune place à sa psychologie compliquée et minutieuse. Les romans mêmes, et il n’excepte pas les siens, font à ses yeux la part des incidents beaucoup trop grande. Dans une préface qui est pour ainsi dire son testament littéraire, à ceux qui seraient tentés de trouver que l’intrigue de Chérie est trop simple, il répond qu’elle ne l’est pas assez, qu’elle compte encore trop d’incidents, et que, s’il lui était donné de redevenir plus jeune, il voudrait faire dos romans sans plus de complication que la