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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

dévore, et elles profitent aussi à la littérature, à cette littérature des nerfs qu’ils se vantent d’avoir créée.

À la fois physiologistes et poètes, naturalistes par leur goût de la réalité observée sur le vif et directement rendue, romantiques soit par leur superstition de la forme, qu’ils poussent jusqu’à la manie, soit par leur prédilection pour les personnages et les cas exceptionnels, ils ne se rattachent vraiment à aucune école et ne relèvent que d’eux-mêmes. Étrangers à toute éducation classique, non seulement à la culture de l’antiquité gréco-latine, mais encore à celle de notre xviie siècle, ils n’apprécient que cette « modernité » dont leur œuvre est l’expression la plus vive. Ils trouvent que dans le beau grec il n’y a ni rêve, ni fantaisie, ni mystère, qu’il n’y a pas enfin ce « grain d’opium si montant, si hallucinant et si curieusement énigmatique ». Ils pensent que l’antiquité a été faite pour être le pain des professeurs. Les plus belles œuvres du classicisme français manquent à leurs yeux de ragoût ; elles appartiennent à ce beau ennuyeux qui produit sur eux l’effet d’un pensum du Beau. Ils ont en aversion la simplicité, la sobriété, la tranquillité. Ils ne se plaisent qu’à ce qui est miroitant et contourné, aux précieux raffinements du xviie siècle, leur époque favorite, ou bien encore au japonisme, qu’ils se glorifient d’avoir importé chez nous avec ses figures étranges, tourmentées, dont aucun canon n’a réglé par avance les proportions et les attitudes. Ils sont des malades qui se complaisent dans leur maladie et à qui la santé répugne. Admirables artistes, si l’on veut dire qu’ils ont exprimé par les mots, par les tours, par les rythmes, ce qu’il y a de plus aigu dans la sensation, mais les écrivains les plus dangereux pour la langue, parce qu’ils en ont rompu toutes les racines et que leur manière de décadents et de névropathes a pour aboutissement final une complète anarchie.

Flaubert et les Goncourt ont exercé une influence capitale sur le roman contemporain ; ils sont les maîtres de l’école « naturaliste », et c’est d’eux que procèdent plus ou moins