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LE ROMAN.

directement tous nos romanciers actuels. Ces deux œuvres, Madame Bovary et Germinie Lacerteux, sont, comme Jules de Goncourt le disait de la seconde, « les modèles de tout ce qui a été fabriqué depuis sous le nom de réalisme, naturalisme, etc. ». Pourtant, si la forme nouvelle que les deux« livres-types » donnèrent au roman se maintient depuis trente années dans ses traits essentiels, des écrivains tels qu’Émile Zola et Alphonse Daudet, en y appliquant l’originalité propre de leur talent, l’ont assez diversifiée pour mériter une étude particulière.

Le naturalisme eut dans Zola son législateur. Esprit systématique et volontaire, tandis que d’autres suivent spontanément leur instinct et, dans les peintures les plus réalistes, l’inclination naturelle de leur fantaisie, il s’établit sur des principes rationnels dont sa logique étroite et obstinée poursuit jusqu’au bout l’application. Le roman moderne avait été créé bien avant lui ; mais ce fut lui qui en élabora la poétique. Voilà pourquoi, n’ayant inauguré rien de vraiment nouveau, il put être considéré comme le chef d’une école qui avait eu dans Flaubert et les Goncourt ses initiateurs et ses premiers maîtres, mais à laquelle lui-même imposait ses formules. Tout en lui semblait d’ailleurs fait pour ce rôle, ce que son caractère avait de résolu non moins que ce que son esprit avait de catégorique, sa vigoureuse opiniâtreté, son humeur militante, et jusqu’à cette confiance en soi qui n’est pas moins une vertu pour les chefs d’école que pour les fondateurs d’empire. Il fit le premier du naturalisme une doctrine.

A-t-il été naturaliste dans toute la rigueur du mot ? Se contente-il de copier la nature ? La représente-t-il telle quelle sans la modifier d’après les vues de son esprit et le tour de son imagination ? Lui-même n’a jamais prétendu que l’art se réduisît purement et simplement à un décalque. Mais, sans lui attribuer des maximes avec lesquelles ses adversaires se sont fait parfois un jeu trop facile de le mettre en contradiction, il faut reconnaître que l’hiérophante du naturalisme n’a jamais appliqué strictement sa propre théorie.