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LE ROMAN.

de Zola, à l’application sincère et patiente qu’il porte dans l’étude des personnages, des circonstances et des conditions. Mais où les étudie-t-il et comment ? On nous dit bien qu’il prépare chacune de ses œuvres en se transportant dans le milieu qu’elle doit peindre, en y vivant quelques semaines, peut-être quelques mois ; mais qui ne sent ce qu’a nécessairement de superficiel une observation non seulement hâtive, incomplète, mais encore subordonnée à certaines vues, à des idées particulières et, dans tous les cas, à un plan arrêté d’avance ? D’ailleurs, le cadre même que Zola s’est imposé au début ne lui permet plus depuis longtemps l’analyse directe des choses et des hommes qu’il représente : il s’est opéré en ces vingt ans de si profondes modifications dans nos mœurs, que les « notes » prises sur la société d’aujourd’hui ne sont plus exactes pour celle du second Empire. Le voilà donc réduit à une alternative dont les deux termes répugnent également au vrai « naturaliste » : il n’a le choix que d’appliquer à une époque déjà reculée des observations qui datent de la veille, ou bien de demander aux livres ce que la réalité actuelle ne saurait lui fournir. Il fait l’un et l’autre, mais surtout il remplace l’étude « expérimentale » de la vie par de laborieuses lectures, et les « documents humains » sur lesquels il travaille, c’est bien souvent dans les bibliothèques qu’il est allé les chercher.

Et la façon dont il met ses matériaux en œuvre ne s’accorde pas plus avec sa théorie que celle dont il les a rassemblés. Zola ne reproduit point ce que les choses réelles ont de fortuit et d’épars ; il charpente solidement ses livres, il travaille d’après un plan géométrique et n’abandonne jamais rien au hasard. Ses personnages manœuvrent automatiquement ; toute leur activité semble se proposer pour unique but la démonstration du caractère qu’il leur a tout d’abord prêté. Une méthode non moins rigoureuse préside à sa « fabulation » : il régente et discipline la réalité en subordonnant les éléments qu’elle lui offre aux exigences de son dessein, il la complète en inventant les données nouvelles que nécessite la marche logique de l’action.