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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Le reproche que mériterait ce doctrinaire du « naturalisme», ce serait d’asservir la nature à son besoin instinctif d’ordre et de symétrie. Il la traite comme une matière informe à laquelle l’art donne la façon ; ses déductions abstraites de logicien règlent et la combinaison des faits et le développement des caractères.

En quoi consiste donc le naturalisme de Zola ? Ferons-nous quelque fond sur les prétentions qu’il affiche en donnant sa série des Rougon-Macquart pour une œuvre scientifique fondée sur les lois de l’hérédité ? Quand les savants eux-mêmes déclarent que ces lois leur échappent et osent à peine hasarder leurs conjectures, quelle foi mérite un romancier qui, en supposant même une étude consciencieuse, ajoute nécessairement à tout ce que la science comporte sur ce point d’incertitudes et d’obscurités, non seulement tout ce que le genre romanesque a déjà par nature d’hypothétique et de gratuit, mais aussi tout ce que lui prête encore de suspect une imagination incoercible comme celle de Zola ? Et même l’intrépide confiance avec laquelle Zola bâtit son monument sur des bases aussi précaires dénote chez lui l’influence de ce démon romantique qu’il n’a jamais pu exorciser. Il y a du romantisme jusque dans sa physiologie. Le roman physiologique qu’il nous donne n’est pas plus sérieux en son genre que le roman historique d’Alexandre Dumas. Dumas accrochait ses tableaux au clou de l’histoire, et Zola attache les siens au clou de la physiologie.

Si l’on entend par naturalisme ce que le mot signifie de lui-même, c’est-à-dire l’observation scrupuleuse de la nature, l’auteur des Rougon-Macquart n’est pas un vrai naturaliste. Il faut chercher son originalité, non dans une conception esthétique qui n’avait rien de nouveau et à laquelle lui-même n’est pas reste fidèle, mais dans un matérialisme à la fois candide et cynique qui réduit toute la vie humaine à l’activité fatale des appétits. Dès la préface de Thérèse Raquin il fait sa profession de foi : ce qu’il veut étudier, ce sont « des tempéraments et non des caractères ». Zola n’est pas un psychologue : il peut