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LE THÉÂTRE.

succéder le » grotesque » au « sublime » : la comédie, en tant que peinture de la société moderne, restait nécessairement en dehors de leur cadre. Ils répugnaient aux réalités du milieu contemporain, ils ne se sentaient à l’aise que dans l’histoire ou dans la légende ; et si, parmi les novateurs, quelques-uns, Alexandre Dumas entre autres, prirent parfois autour d’eux leurs sujets et leurs personnages, ils faisaient, non point des comédies de mœurs, mais des drames de passion. N’est-ce pas justement dans Antony qu’un des personnages explique au parterre comme quoi la comédie de mœurs est devenue impossible ? Quant à Alfred de Musset, des pièces comme Fantasio, comme On ne badine pas avec l’amour, expriment ce qu’il y a de plus sémillant dans l’esprit du poète, ce que son imagination a de plus gracieux et de plus frais, sa tendresse de plus délicat et de plus pénétrant : mais ce n’est pas la réalité qu’il y a peinte, cette réalité contemporaine qui est la vraie matière de la comédie, c’est un monde idéal et capricieux, tout de fantaisie et de rêve, dans lequel son âme se réfugiait pour échapper justement aux vulgarités et aux platitudes du monde réel.

Durant le règne du romantisme, notre théâtre comique se résume dans Scribe. Ce merveilleux praticien ne fit jamais mouvoir sur la scène que des « ombres chinoises », et lorsque, vers le milieu du siècle, le goût de l’observation sincère et personnelle renouvela notre littérature, les colonels de Scribe, « ses pensionnaires riches dont on chassait la dot à courre, ses millionnaires tout-puissants, ses artistes entretenus par des femmes de banquier », ne trouvèrent pas plus grâce devant le réalisme que les bandits pleins d’honneur du drame romantique ou ses vers de terre amoureux d’une étoile.

Le réalisme avait commencé par transformer le roman, qui se prêtait mieux que toute autre forme littéraire à la représentation fidèle et directe de la vie moderne. Il ne se tourna que tardivement vers le théâtre ; c’est que les nécessités fondamentales de l’art dramatique semblaient exclure de prime abord les analyses minutieuses et détaillées qui