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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

faisaient la matière du roman réaliste. Le premier, Balzac essaya de transporter sur la scène cette vérité actuelle des caractères, des mœurs et des milieux qu’il avait, peinte comme romancier avec tant de relief et de puissance. Ce ne fut d’ailleurs que dans les dernières années de sa vie, non par goût ou par vocation, mais par besoin d’argent. Il tenait le théâtre pour une forme inférieure, pour le plus faux et en même temps le plus facile de tous les genres. Sauf Mercadet, qui ne fut mis sur la scène, après sa mort, que profondément remanié, ses pièces échouèrent toutes, les unes, comme Quinola, au milieu des huées et des sifflets, les autres, comme Paméla Giraud et la Marâtre, devant la silencieuse indifférence du public. Balzac n’était pas fait pour le théâtre. Il ne saisissait ni dans les caractères ni dans l’action cette unité lucide et sobre qui est nécessaire au drame. Obligé de se retrancher les menus faits caractéristiques, les descriptions méticuleuses, les imperceptibles détails dont la lente et patiente accumulation finissait, dans ses romans, par donner l’illusion de la réalité, il perdait ainsi ce que son génie laborieux et compliqué avait de plus significatif. Le temps et l’espace lui étaient nécessaires ; il ne savait pas se ramasser, se raccourcir ; parmi tous les traits que le roman lui eût permis de juxtaposer les uns aux autres, mais entre lesquels le drame le forçait à choisir, il ne savait pas mettre en pleine lumière celui qui s’appropriait le mieux à l’optique de la scène et qui devait, comme on dit, passer la rampe. Admirablement doué pour représenter la vie humaine dans l’enchevêtrement de ses frondaisons inextricables, ce merveilleux analyste n’avait pas le don spécial du théâtre, qui vit, non d’analyses, mais de synthèses, qui ne fait entrer la nature dans son cadre inflexible qu’à la condition d’en simplifier les données et d’en rectifier les ambages, qui la mutile et la fausse pour saisir avec plus de puissance cette vérité nécessairement conventionnelle et fragmentaire à laquelle le poète dramatique est tenu de sacrifier ce que la vérité réelle a de touffu, d’épars, d’infiniment minutieux. Si Balzac a ouvert une voie nouvelle à la