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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

commençaient déjà à s’effacer », Dumas tailla hardiment et en pleine matière, non plus des vaudevilles sans consistance qui ne visaient qu’à divertir le spectateur par le jeu d’amusantes silhouettes, mais des comédies substantielles et moulées sur le vif, des œuvres d’une observation directe et pénétrante, qui représentaient les hommes de son temps, des hommes en chair et en os, « vrais des pieds à la tête », sans admettre d’autres conventions que les nécessités inhérentes à l’art dramatique ou les délicatesses inhérentes à la nature humaine.

Il a raconté lui-même dans une de ses préfaces comment, après la Dame aux camélias, écrite en huit jours, moins par inspiration sacrée » que « par besoin d’argent », il « partit résolument et librement à la recherche de la vérité ». L’antiquité grecque et latine avait été épuisée par deux cents ans de tragédie, l’antiquité nationale par vingt ans de drame. Il ne restait plus que la vie moderne, à peine effleurée par les esquisses de Scribe. C’est celle vie moderne qu’il se donna pour tâche de peindre avec une entière franchise, lui fallût-il, en la portant telle quelle sur la scène, battre en brèche et les fausses convenances d’un art pusillanime et les susceptibilités renchéries d’une morale superficielle. « Personne dans sa carrière, et surtout à ses débuts, n’a eu, dit-il, à lutter plus que l’auteur. » La Dame aux camélias fut interdite pendant un an, Diane de Lys pendant huit mois ; le Demi-Monde, écrit pour le Théâtre-Français, parut « impossible, dangereux, tout plein de monstruosités ». Et ce n’était pas seulement la censure que révoltait l’audace du jeune auteur : le parterre même se fâcha plus d’une fois contre cet artiste sans scrupule, contre ce moraliste sans vergogne. Dumas se fait un jeu de froisser les préjugés, de brusquer les partis pris, de dire aux spectateurs ce qu’ils ne veulent pas qu’on leur dise en face. Il brave la convention en vertu de laquelle les fils naturels gémissaient de temps immémorial sur le malheur de leur naissance, et, mis en présence d’un père à qui ce malheur était la seule chose qu’ils dussent, se jetaient sur son cœur avec