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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

essayé de concilier le rire avec les pleurs : elle ne saurait avoir d’unité. Au lieu de nous faire tour à tour rire et pleurer en confondant deux genres séparés par une barrière naturelle, le drame nouveau ne nous fera ni pleurer ni rire, et, sous le nom de comédie sérieuse, il présentera le tableau fidèle de noire existence en se tenant à égale distance des deux extrêmes.

Cette vue n’empêche pas Diderot d’inventer, après la comédie sérieuse, ce qu’il appelle la tragédie bourgeoise. Si le rire a peu de place dans son théâtre, les larmes s’y donnent pleine carrière. Il y a contradiction flagrante entre sa théorie de la comédie sérieuse et cette tragédie bourgeoise qui, comme la haute tragédie, aura pour sujets les infortunes et les catastrophes de la vie humaine. Remarquons du moins que la conception des deux genres s’inspire de la même idée générale : nécessité d’accorder le théâtre avec la nature. L’un et l’autre visent également à la vérité moyenne, le premier dans les passions, le second dans les événements et les personnages. La tragédie classique avait toujours mis en scène des princes que non seulement leur condition, mais encore leur temps et leur pays nous rendaient absolument étrangers, et ces personnages tout exceptionnels, elle les engageait dans des périls tout extraordinaires. Diderot veut que la tragédie bourgeoise s’en tienne à la vie réelle et contemporaine, qu’elle tire ses sujets du milieu actuel, qu’elle prenne pour héros de simples particuliers dont les infortunes feront d’autant plus d’impression sur les spectateurs qu’ils se reconnaîtront en eux.

On a reproché à Diderot, et non sans raison, d’affadir le théâtre par une peinture monotone de la vertu. Ses pièces dégénèrent aisément en berquinades : on voudrait des personnages moins sujets, en toutes les situations où la fortune les jette, à ces grands et beaux sentiments dont surabondent les Clairville ou les Dorval. Mais toute l’esthétique de Diderot se subordonne à des préoccupations morales qui lui font considérer la scène comme une école. Et, d’ailleurs, cette idée est profondément implantée en lui, que les hom-