Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
362
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Lui-même a indiqué sa propre méthode, celle qu’il appliqua dès le début et qu’il applique encore : elle consiste tout bonnement à écrire « comme si les personnages vivaient », à « travailler en pleine pâte ». Le don du théâtre lui est si naturel qu’il se représente tout d’abord les choses avec leur figure dramatique, et, pour composer une pièce, il n’a qu’à porter telles quelles sur la scène, sans aucun travail de transposition, les images que son esprit s’est spontanément formées.

Parmi toutes les qualités nécessaires au drame, la logique est la plus indispensable, « celle qui domine et commande ». Le théâtre lui-même « fournit l’imagination dans ses interprètes, dans ses décors, dans ses accessoires », et, par conséquent, les écrivains dramatiques peuvent s’en passer. Quant à l’invention, « elle n’existe pas pour eux » ; leur office ne consiste pointa inventer ce qui n’est pas, mais à reproduire ce qui est, à « restituer », en l’adaptant aux conditions propres de leur genre, ce qu’ils ont vu et senti. On reconnaît ici la maxime fondamentale du réalisme, que Dumas, le premier, a introduit sur la scène. Le peintre du Demi-Monde, l’auteur de la Dame aux camélias, de Diane de Lys, du Père prodigue, du Fils naturel, de l’Ami des femmes, n’a guère fait, surtout dans la première moitié de sa carrière, que représenter soit des épisodes de sa vie, soit des situations dont il avait été lui-même témoin, des personnages qu’il avait connus, des milieux qu’il avait directement observés. L’invention et l’imagination étant inutiles au théâtre, la qualité que Dumas estime par-dessus toutes, celle aussi qu’il a au plus haut degré, c’est la logique. Réaliste par le choix de ses sujets et par la franchise avec laquelle il les traite, il ne fait aucune concession au réalisme dans tout ce qui relève de la composition dramatique. Les théoriciens de je ne sais quel « théâtre naturaliste » lui reprochent de mutiler la réalité pour l’enfermer dans un cadre artificiel, de construire ses pièces comme des théorèmes, de monter, ainsi qu’on fait un ressort d’horloge, des personnages qui marchent, agissent et parlent en