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LE THÉÂTRE.

automates. Ces critiques ne le touchent pas : il connaît son art mieux que personne, il en sait les ressources, mais aussi les limites et les exigences, il sait que l’œuvre dramatique ne peut être une copie de la réalité, qu’elle représente « la vie de relation», que ce qui est vrai sur la scène, c’est ce qui s’accorde soit avec les conventions primordiales du genre, soit avec la perspective et la sonorité particulières du théâtre. Mais, si la vérité ne peut être absolue, il faut que la logique soit rigoureuse, et nul auteur dramatique n’a été plus implacable logicien que Dumas. Pourquoi donne-t-il le conseil de ne commencer sa pièce que lorsqu’on a la scène, le mouvement et le mot de la fin ? C’est parce qu’il considère cette fin comme un but que l’auteur doit poursuivre dès le commencement. Au départ même, il a les yeux fixés sur le point d’arrivée ; il va droit son chemin avec une rectitude inflexible sans se permettre jamais ni halte ni détour. Ce qu’on appelle sa brutalité, c’est sa logique même. Brutal comme une opération d’arithmétique, il a pour règle essentielle que « deux et deux font quatre ». Ne lui demandez pas de modifier un dénouement : la marche de ses pièces est une « progression mathématique qui multiplie la scène par la scène, l’événement par l’événement, l’acte par l’acte », jusqu’à ce qu’elles arrivent à leur conclusion comme à un « produit » inexorable et fatal. À la logique, qui est sa faculté maîtresse, celle d’où procèdent toutes les autres, il faut rapporter et « la mise en saillie continuelle du côté de l’être ou de la chose pour ou contre lesquels il veut conclure », — et « la connaissance des plans », — et « la science des contre-parties », le tact avec lequel il distribue l’ombre et la lumière, ménage les oppositions, équilibre les effets, — et la rapidité du mouvement qui entraîne la pièce, qui la presse vers la crise finale, — et cette vive manière d’entrer dès le début dans le plein courant des choses, cette manière expéditive de jeter par-dessus bord tout inutile bagage, de ne mettre en scène que le vif de l’action, de couper sans pitié ce qui n’est pas indispensable pour l’intelligence du drame à un auditoire impatient et pénétrant. Ajoutons que cette logique est maniée avec