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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

une sûreté magistrale, avec un sens merveilleux du public et du théâtre. Nul n’a su comme Dumas, jusque dans sa hâte et dans ses violences, le secret de dérober les difficultés, de réfuter par avance les objections, d’imposer silence aux scrupules ; nul n’a poussé plus loin l’art d’expliquer les personnages, de justifier les situations les plus osées, de faire attendre, de faire désirer les scènes les plus dangereuses, en un mot cet art capital des « préparations » sans lequel son rationalisme tranchant et despotique aurait si souvent révolté les spectateurs.

La langue de Dumas est en parfait accord avec ce que son système dramatique a de concis et d’incisif. Il s’accuse de n’avoir jamais écrit avec pureté la langue française, mais il rappelle aussi que Molière « n’écrivait pas purement ». Au théâtre, les négligences, les taches, les « barbarismes » même se pardonnent, ou plutôt passent inaperçus du public, pourvu que la forme soit nette, vigoureuse, sonore, qu’elle ait la saillie du trait. Or, si le style de Dumas n’observe pas toujours les règles académiques, si les irrégularités, les fautes de grammaire n’y sont pas rares, qu’importe ? c’est un style vivant, et cette qualité peut à elle seule le dispenser de toutes celles qu’elle ne résume pas, et le racheter de licences qui n’y nuisent jamais et qui bien des fois y concourent. Toute phrase, chez Dumas, porte coup ; comme il n’y a pas dans ses pièces une parole oiseuse, il n’y en a pas non plus une qui se perde. Sa langue est toute muscles et nerfs, elle est action. Et, en même temps, elle donne à l’idée une figure stricte et décisive, elle la sculpte. S’il lui manque souvent la pureté littéraire et la correction grammaticale, elle a toujours le relief dramatique.

Le théâtre, pour Dumas, est essentiellement une école. Lui-même se montre, dès sa première jeunesse, penché sur le grand creuset de Paris, et, « dans la mixtion de l’être humain avec des mœurs et des lois particulières », étudiant ces problèmes moraux dont il estimait que l’auteur dramatique doit chercher la solution. Né moraliste aussi bien qu’auteur dramatique, il ne pensait pas que le théâtre fût