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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

langage, fui la première révolte contre ce théâtre de convention » qui avait Scribe pour faiseur attitré. Cependant Gabrielle n’a point le caractère d’originalité décisive par lequel la Dame aux camélias mérite d’être considérée comme inaugurant le drame moderne. Nous n’y trouvons ni, dans le fond, ce réalisme hardi, ni, dans la forme, cette allure nerveuse et pressante, cette vigueur de touche, cette âpreté de relief, qui font de la Dame aux camélias le premier type d’un art nouveau. Les facultés d’observateur et de peintre dont le Gendre de Monsieur Poirier et le Mariage d’Olympe allaient bientôt fournir l’éclatant témoignage, Émile Augier n’en déploya toute la puissance que dans un système dont l’invention appartient à Dumas. Peut-être eût-il trouvé de lui-même ce nouveau théâtre, sur le chemin duquel il était déjà et dont il ne s’appropria si tôt et si bien la conception que parce qu’elle répondait à ses propres instincts. Au surplus, son tempérament n’était point celui d’un révolutionnaire ; s’il eût fait tout seul la révolution dramatique, c’eût été sans doute, non pas en une fois, par un coup d’éclat et d’audace, mais peu à peu, étape après étape, avec une vaillance mesurée et réfléchie. Ce qui est certain, c’est que l’impulsion décisive lui vint d’un autre : en ce même mois de février 1852 où parut la Dame aux camélias, Augier donnait un drame historique en vers, et Philiberte se joua la même année que Diane de Lys.

La carrière d’Émile Augier se divise en deux périodes d’étendue bien inégale. Il commence par être « le Musset de Ponsard », c’est-à dire par détendre et par égayer la sagesse du « restaurateur de la tragédie », en y alliant quelque chose de cette grâce légère qu’Alfred de Musset avait portée sur la scène. Après la Ciguë, il aborde l’étude des mœurs contemporaines et l’analyse des caractères avec l’Homme de bien ; mais cette pièce est taillée sur le patron traditionnel, et rien n’y annonce une nouvelle forme de comédie. Dans l’Aventurière, où le poète montre une vigueur de talent et un éclat de verve que ni l’Homme de bien ni même la Ciguë