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LE THÉÂTRE.

n’eussent laissé soupçonner, la scène se passe en Italie, au xvie siècle ; et, si l’échec de l’Homme de bien ne l’empêcha pas de revenir par Gabrielle, jouée quatre ans après, sur le vrai terrain de l’auteur comique, dont l’office propre consiste à peindre la société de son temps, après Gabrielle, le Joueur de flûte est une pièce du même genre que la Ciguë, Diane un drame d’histoire, Philiberte une fantaisie exquise de fraîcheur, de grâce, de jeunesse, et, dans son charmant cadre du xviiie siècle, l’œuvre la plus aimable peut-être d’Augier, mais non pas une sérieuse étude de mœurs. Jusqu’ici le poète a essayé de tous les genres, et, même après avoir trouvé sa voie, il s’en est presque aussitôt écarté. Il appartient à ce qu’on appelle alors l’école du bon sens. Le parti classique qui, depuis Lucrèce, a repris possession du théâtre, oppose aux exagérations et aux monstruosités du romantisme ce talent sobre, maître de lui-même, à la fois délicat et fort, qui mûrit dans le culte des saines traditions, et dont le vers franc, juste, net, exempt de toute redondance et de tout fatras, rappelle, jusque par des archaïsmes, tantôt celui de Corneille et tantôt celui de Molière. Émile Augier est alors l’Eliacin du classicisme.

Ce ne fut pas aux classiques que la chute du romantisme profita. Tandis qu’ils s’attardent dans des conventions surannées, le mouvement intellectuel du siècle aboutit au triomphe d’une école nouvelle, qui a pour toute formule l’étude loyale et la fidèle reproduction de la réalité. Le réalisme, avec Dumas fils, transforme l’art dramatique. Dès lors Augier revient, pour ne plus la quitter, à cette comédie de mœurs qu’il avait abordée avec l’Homme de bien et Gabrielle, mais dans laquelle il va maintenant porter une vigueur et une audace qu’il ne s’était pas encore connues. Depuis le Gendre de Monsieur Poirier jusqu’aux Fourchambault, toutes ses pièces tirent leur sujet de la société contemporaine. Et, en renonçant pour toujours à la comédie légère, au drame d’histoire, aux pastiches néo-grecs, il renonce aussi à la langue poétique, la seule dont il eût jusqu’alors fait usage.