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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Hors la Jeunesse et Paul Forestier, il n’écrira plus désormais qu’en prose. Certes il ne professe pas pour la « forme rimée » le brutal mépris d’Alexandre Dumas ; mais il sent bien que, si les vers conviennent soit au drame, qui est tantôt lyrisme et tantôt épopée, soit aux fantaisies et aux badinages de la muse comique, la comédie de mœurs contemporaines a dans la prose son langage propre, qui, toujours sincère et substantiel, se moule de lui-même sur la réalité.

Comme Dumas, Augier croit à l’influence morale du théâtre. Rappelant les expériences par lesquelles « Flourens avait démontré que les os se renouvellent sans cesse, en les colorant sous l’action d’une alimentation colorante », il nomme la littérature « l’alimentation colorante de l’esprit public », et le théâtre « la partie la plus active, sinon la plus nutritive de la littérature ». En rapport immédiat avec la foule, le théâtre a sur tous les autres genres littéraires cet avantage que « ses enseignements arrivent à leur adresse directement et violemment » ; il « dirige l’observation confuse du plus grand nombre » ; il est « la forme de la pensée la plus saisissable et la plus saisissante ».

Une brochure politique sur le suffrage universel, de courtes et rares préfaces, son discours de réception à l’Académie française, voilà, si l’on met à part le recueil des Pariétaires, tout ce qu’Augier a écrit en dehors de ses comédies. Mais l’œuvre qu’il laisse est assez nette pour se passer de gloses. Moraliste, Émile Augier n’a jamais été séduit par les chimères. Point de place en cet esprit clair et pondéré pour les théories hasardeuses, les brillants paradoxes, les fumeuses hallucinations. Sa morale ne se fourvoie pas dans les utopies ; elle s’élève souvent, mais sans jamais perdre de vue le terrain solide de la réalité. Tandis que Dumas, tenté de plus en plus par la physiologie et le mysticisme, finit par prêcher la vertu chrétienne en style de carabin, Augier s’en tient au code de l’honnête homme. Il défend contre les relâchements et les défaillances, avec sa simplicité forte à laquelle répugne toute déclamation soit comme faute de goût, soit comme faute de tact, une morale à la fois robuste