Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
36
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

premiers romantiques devaient mettre à la mode : c’est une jouissance toute charnelle. Si, après Lamartine, dont la lyre chante ce que la tendresse a de plus délicatement chaste et pudique, d’autres portèrent dans l’amour toutes les ardeurs de la passion, il y eut chez eux, chez Alfred de Musset lui-même en ses plus grossières débauches, une idée d’immortalité, un sentiment de l’infini qui tourmentait leur pensée et leur cœur. Rien de tel chez André Chénier, et cette Vénus dont il dit que, sans elle, rien ici-bas n’est doux, il la personnifie tour à tour en ses Camille, ses Rose, ses Julie, toutes beautés de fête païenne comme celles qu’avaient célébrées sur le même mode ses devanciers Tibulle et Properce. Chez lui l’amour ne se rapporte qu’aux sens, c’est tantôt la danse nonchalante et voluptueuse de Rose, tantôt le rire étincelant de Julie, c’est

Dans une bouche étroite un double rang d’ivoire,
Et sur de beaux yeux bleus une paupière noire.

Il ne lui demande que ce qu’il est sûr d’y trouver, le plaisir, un plaisir qui se suffit à lui-même, qui s’oint de parfums et se couronne de fleurs, et dont jamais aucun sentiment de vide, aucun arrière-goût d’amertume, aucune inquiétude de l’au-delà, ne trouble ou n’exaspère la jouissance pleine et robuste. Les femmes qu’il aime sont des hétaïres, et dans son amour vraiment païen l’âme n’entre guère que pour un exquis sentiment de la beauté plastique

Mais ce sentiment inspire, sous ses formes diverses, toute la poésie de Chénier. Or, malgré leurs origines chrétiennes, c’est par là surtout que les romantiques transformeront l’art. Chateaubriand lui-même n’est, à vrai dire, qu’« un païen d’imagination catholique », et, par delà l’auteur des Martyrs, André tend la main, sinon à Lamartine, qui ne le goûta jamais, du moins à Victor Hugo, à Alfred de Vigny, qui commença par l’imiter, à Sainte-Beuve, qui le proclame hautement un des maîtres de la nouvelle école, enfin à tous les néo-romantiques, qui, Théophile