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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

et plus souple, le vieil hexamètre de Ronsard et de la Pléiade, l’hexamètre à libre rejet, à césure variable, dont le rythme se prête à toutes les nuances de la pensée et à toutes les inflexions du sentiment. Il retrouvait en même temps cette espèce de vers « pleins et immenses, drus et spacieux, tout d’une venue, soufflés d’une longue et seule haleine », très rares dans la vieille école, même chez Racine, et dont Sainte-Beuve aimait à citer d’abondants exemples chez les poètes de 1830 pour les rapprocher de leur précurseur.

La langue d’André ne fut pas moins une nouveauté que sa versification, et cela dans le sens même où le romantisme devait incliner. L’auteur de Joseph Delorme note avec un soin pieux que le procédé de couleur chez le jeune maître comme chez ses disciples roule sur deux points, d’abord la substitution du terme propre et pittoresque au terme métaphorique et sentimental, ensuite le discret usage d’épithètes un peu vagues et comme voilées, de mots indéfinis, inexpliqués, flottants, qui laissent deviner l’idée sous leur ampleur plutôt qu’ils n’en précisent et n’en serrent la forme. Certes, André Chénier porte encore l’empreinte de son temps : on trouve chez lui bien des traces du « style noble », bien des périphrases de convention ; il emploie le décor mythologique même en des sujets modernes ; il conçoit, il commence de longs poèmes didactiques dans le goût des Lemierre ou des Esménard. Mais on peut en dire autant des débuts d’Alfred de Vigny ou de Victor Hugo, et ces restes de pseudo-classicisme ne l’empêchent pas d’être regardé avec raison par le romantisme naissant comme un devancier et comme un guide.

Faut-il borner à ces questions de forme extérieure la parenté du poète avec les novateurs de 1820 ? En politique, en religion, en philosophie, André, nous l’avons dit, appartient à son époque ; et pourtant, s’il n’y a dans son esprit rien qui fasse pressentir le nouveau siècle, son âme et son génie poétique semblent par moments en avoir eu l’intuition. On retrouve chez lui pour la première fois cette poésie d’images