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MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND.

enfants ; et quelle action un tel entourage ne devait-il pas exercer sur ce génie essentiellement curieux, toujours en quête d’aperçus nouveaux, d’idées originales, et qu’un goût moins sûr que hardi ne défendait pas toujours contre des sympathies trop empressées ?

C’est par l’influence de l’Italie que Mme de Staël fut initiée à la beauté plastique. Sans doute, cette incorrigible penseuse n’en continua pas moins de préférer la « littérature à idées » mais le sens de la forme s’éveilla dès lors en elle, et sa prédilection pour les écrivains philosophes ne l’empêcha plus d’apprécier ceux qu’avait séduits l’idole de l’art. Sans le voyage en Italie, Delphine ne serait point devenue Corinne. C’est par l’influence de l’Allemagne que le sentiment, l’enthousiasme, la religion mystique du beau, l’emportèrent définitivement sur ce goût d’analyse, auquel on reconnaissait toujours en elle, malgré ses protestations, l’esprit persistant du xviiie siècle. Mme de Staël eut pour mission d’inoculer au génie français une foule de sentiments et d’idées que son cosmopolitisme empruntait de tout pays pour les accommoder au nôtre. « Désormais, a-t-elle dit elle-même, il faut avoir l’esprit européen. »

En la suivant dans le développement graduel de son esprit pour noter au passage les éléments divers qui y concoururent, nous ne devons pas oublier ce qu’elle doit à Chateaubriand. Mais, si Chateaubriand lui enseigna le pouvoir des mots, lui révéla les secrets de la phrase, les prestiges des belles lignes et des rythmes harmonieux, il ne fut pour rien dans l’évolution morale qui l’inclinait de plus en plus vers le christianisme. C’est là, chez elle, un penchant natif, et qui se développe de lui-même. Dès la Littérature elle manifestait ses sympathies pour la religion chrétienne, à condition d’en retrancher ce qu’elle appelle les inventions sacerdotales. Et quoi de plus profondément chrétien, dans le sens intime du mot, que cette fatigue de tout ce qui se mesure, ce sentiment de ce qu’il y a d’incomplet dans notre destinée et d’inassouvi dans nos désirs, auquel elle attribue « les plus grandes et les plus belles choses que l’homme ait faites » ?