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MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND.

influence et même dans un sens contraire à notre tradition, nous avait complètement échappé : ce fut Mme de Staël qui nous le révéla.

Mieux qu’aucun de ses contemporains, l’auteur de l’Allemagne sent le besoin d’une rénovation. « La stérilité dont notre littérature est menacée ferait croire, dit-elle, que l’esprit français a besoin maintenant d’être régénéré par une sève plus vigoureuse. » Elle veut emprunter au génie du Nord le sérieux et la profondeur, qui, d’après elle, en sont les caractères distinctifs. Toute sa philosophie littéraire se rapporte à la division qu’elle établit dès le début : d’une part, la poésie imitée des anciens, de l’autre, celle qui doit sa naissance à l’esprit du moyen âge ; d’une part, « la poésie qui, dans son origine, a reçu du paganisme sa couleur et son charme », de l’autre, « celle dont l’impulsion et le développement appartiennent à une religion essentiellement spiritualiste ». À cette vue se rattache déjà la Littérature, et l’auteur y avoue hautement que « toutes ses impressions, toutes ses idées, la portent de préférence vers le Nord ». Lui reproche-t-on de renier les traditions domestiques, de trahir le génie français, elle répond qu’élever autour de la France une sorte de grande muraille, c’est en faire une nouvelle Chine. On peut, d’ailleurs (et c’est ce qu’elle ajoute), respecter les vrais principes du goût classique, tout en admirant « ce qu’il y a de passionné dans les affections que les Septentrionaux éprouvent, de profond dans les pensées qu’ils conçoivent », tout en inculquant à notre littérature à « ce qu’offre de beau, de sublime, de touchant, la nature sombre qu’ils ont su peindre ». Elle est loin de vouloir que nous nous asservissions au Nord : les idées nouvelles que nous fournira l’Allemagne, « patrie de la pensée », nous devrons les modifier à notre manière et leur imprimer notre marque, mais en dépouillant nos superstitions indigènes, en élargissant notre critique, en cessant de regarder « le siècle de Louis XIV comme un modèle de perfection au delà duquel aucun écrivain éloquent ni penseur ne pourra jamais s’élever ».