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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Dès sa Littérature, Mme de Staël avait été accusée de présenter « une poétique nouvelle ». Elle a beau s’en défendre, c’est bien une nouvelle poétique qu’elle apporte en effet au nouveau siècle. Mais elle ne substitue point des règles à d’autres règles, des formules neuves à de vieilles formules. Émanciper l’art en l’affranchissant des formules et des règles, tel est justement le caractère original de cette poétique pour laquelle le vrai bon goût n’est que l’observation raisonnée de la nature. Elle reproche aux législateurs du classicisme une critique purement négative qui « ne s’attache qu’à ce qu’il faut éviter », qui masque le temple même de l’art par un laborieux échafaudage de préceptes stérilisants et pédantesques. Elle trouve qu’il y a trop de freins en France pour des coursiers si peu fougueux. Elle dit leur fait aux unités dramatiques : s’y assujettir, c’est préférer une symétrie factice à la vérité de l’action, c’est sacrifier le fond à la forme comme dans les acrostiches. Elle demande sur la scène des sujets plus appropriés au public, moins de pompe, un naturel qui ne craigne pas d’aller parfois jusqu’à la vulgarité pour relever l’effet du sublime, des car.ictères complets au lieu de passions abstraites, de véritables hommes au lieu de t marionnettes héroïques », moins de logique dans les personnages et de géométrie dans la coupe de l’action. Sortant de la tragédie et de la comédie, dont la forme classique lui semble artificielle, du genre descriptif et didactique, où elle reconnaît que nous avons excellé, Mme de Staël annonce le grand élan poétique de notre siècle ; elle convie les générations prochaines à ce lyrisme qui déborde d’un cœur inspiré en effusions involontaires et soudaines « comme les chants de la Sibylle ou des prophètes ». Elle veut qu’on fasse œuvre de poète en s’abandonnant à son inspiration, et qu’on juge d’un poème par l’impression qu’on en reçoit. À un ouvrage médiocre et correct, elle en préfère un dont les taches et les défauts sont rachetés çà et là par quelque trait de génie. Elle oppose le sentiment au mécanisme, l’abandon du cœur aux dextérités de l’esprit, la candeur de la nature aux procédés factices de l’art.