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MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND.

Dans le fond, sa préoccupation essentielle, c’est la morale. Elle y revient toujours et y ramène tout. Son art poétique peut se résumer tout entier dans cette exhortation qu’elle adresse aux poètes : « Soyez vertueux, croyants, libres, respectez ce que vous aimez, cherchez l’immortalité dans l’amour et la Divinité dans la nature ; sanctifiez votre âme comme un temple. » Elle se prend à l’ironie qui réduit tout en poussière. Elle a compris que le temps est passé des plaisanteries plus ou moins piquantes contre ce qui est sérieux, noble et divin. Elle annonce une doctrine de croyance et d’enthousiasme qui confirme par la raison ce que le cœur nous révèle. Elle déclare qu’on ne rendra désormais quelque jeunesse à l’humanité qu’en retournant à la religion par la philosophie et au sentiment par la raison. La première condition pour renouveler l’art et la poésie consiste à régénérer la vie interne de l’âme. Or c’est de religion et de sentiment que l’âme vit. Nos poètes classiques ont su mettre envers l’esprit d’une société raffinée et brillante ; à la poésie romantique, qu’elle exalte chez d’autres peuples et dont elle pressent chez nous une prochaine floraison, il est resté tout le domaine des impressions solitaires, des rêveries lointaines, des contemplations recueillies et pieuses.

Tel est l’idéal vers lequel Mme de Staël se tourne de plus en plus. Âme tout en dehors, improvisatrice ardente, vaillante nature de guerrière toujours en mouvement et en action, la voilà qui fait de la « mélancolie » le sceau par excellence de l’élection divine, un signe de profondeur aussi bien qu’un gage de fécondité. Dans l’Allemagne, ce qui inspire toute son esthétique comme toute sa morale, c’est le sentiment de l’infini, « véritable attribut de l’âme », source du génie et de la vertu.

Cet infini, elle ne le sent pas seulement en elle, mais aussi dans l’univers. Son cœur se met en communion avec la nature extérieure. Nous l’entendons célébrer avec enthousiasme ces scènes et ces spectacles du monde visible sur lesquels son œil ne se serait jadis même pas arrêté. Mais ce qu’elle y voit, ce ne sont point, comme Chateaubriand,