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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

nouvelle qu’elle appliqua bientôt après dans le second, la critique moderne, notre critique explicative et éclectique, moins jalouse de juger que de comprendre, ne se piquant ni de théories absolues ni de conclusions décisives, se prêtant d’elle-même à l’infinie variété des caractères et des talents plutôt que de violenter la nature pour obtenir à tout prix un trompe-l’œil d’unité artificielle et raide.

Retremper la vie intime du cœur et le sentiment religieux, délivrer l’art des règles étroites et des formules stériles, renouveler l’esprit de la critique littéraire, telle est à grands traits l’œuvre de Mme de Staël. S’il ne doit rester d’elle qu’un nom, ce nom sera toujours celui d’un grand initiateur. Elle a inauguré dans les directions les plus diverses le mouvement intellectuel et moral de notre époque. Elle a ensemencé le siècle d’idées fécondes ; elle a donné comme une nouvelle âme à notre poésie.

Si l’on peut dire que Mme de Staël, dont l’esprit est allé sans cesse se développant, a réalisé pour elle-même, dans la suite de son progrès intellectuel et moral, cette théorie de la perfectibilité qui fut le fondement même de sa philosophie, ce qui frappe au contraire dans Chateaubriand, c’est la fixité des vues d’après lesquelles il compose sa vie aussi bien que ses ouvrages. Ce xixe siècle que Mme de Staël veut unir au xviiie, Chateaubriand l’y oppose. Il est le promoteur d’une réaction pour laquelle tout accommodement serait une trahison et un sacrilège. Et même, en se tenant à ce point de vue, son Essai sur les révolutions pourrait fort bien rentrer dans l’unité de son œuvre, puisqu’il est dirigé tout entier contre la doctrine du progrès, dernier mot de la philosophie que le xviiie siècle léguait au nôtre. Si Chateaubriand n’y est pas encore chrétien, il semble, après tout, que l’état moral dont témoigne l’œuvre soit très favorable à la conversion, et qu’un jeune homme si douloureusement sceptique ne doive pas regimber contre les aiguillons de la grâce.

Cette théorie de la perfectibilité qu’il attaque dans