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MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND.

l’Essai en vertu de son scepticisme, il la réfutera bientôt, dans le Génie du christianisme, en vertu de sa foi chrétienne. À cette époque, Mme de Staël en était l’interprète le plus en vue, et c’est contre elle qu’il se tourne. Il se pose en antagoniste naturel du xviiie siècle, qu’elle représente ; il profite d’une polémique entre elle et Fontanes, son ami, pour prendre lui-même parti et position. Il écrit sa lettre au Mercure : dans cette lutte qu’il va soutenir contre la philosophie rationaliste, c’est son premier coup d’épée. « Vous n’ignorez pas, dit-il, que ma folie à moi est de voir Jésus-Christ partout comme Mme de Staël la perfectibilité. » Voilà Chateaubriand tout entier. Il est, dès 1800, l’apologiste de la religion chrétienne ; il le sera toute sa vie et dans tous ses ouvrages, depuis le Génie du christianisme jusqu’à la Vie de Rancé. Il est le chevalier de la Croix, et, lors même qu’il aura de longs accès de doute et de désespoir, il restera fidèle par point d’honneur, sinon par foi, moins sensible ao reproche d’impiété qu’à celui de félonie.

Ce qu’il y a de plus significatif dans ce christianisme, qui sonne parfois un peu creux, c’en est la conception tout artistique et décorative. Nous touchons là au caractère essentiel de Chateaubriand, à ce qui fait l’originalité propre de son génie. Il a au plus haut degré ce goût et ce sens de la beauté plastique qui manquaient à sa rivale. La première, avec son impatience avide, parcourt sa vaste carrière en tout sens, saute d’un aperçu à un autre, s’épuise et se dévore elle-même ; le second a circonscrit tout d’abord son domaine, et, dans les limites qu’il s’est tracées, il l’embrasse tout entier d’un coup d’oeil ; il est maître de lui-même, il sait régler son élan d’avance, se contenir et même se contraindre. Mme de Staël ouvre des vues. Chateaubriand ordonne des formes. Mme de Staël est une idéologue, Chateaubriand est avant tout un artiste.

Il l’est dans sa vie elle-même, qu’il arrange et dispose pour l’effet. Des amours fatales ou grandioses, un voyage de découverte à travers les solitudes du Nouveau-Monde, un chemin de Damas tout inondé de rayons et tout éclatant