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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

de tonnerres, un duel à mort avec le maître omnipotent de l’Europe, un pèlerinage éblouissant de Paris à Jérusalem en passant par Athènes et par Memphis, l’auréole chrétienne et le reflet de la Muse grecque, les triomphes de l’ambition et puis le dédain du pouvoir, plus glorieux que le pouvoir même, une apothéose, soignée et ménagée de longue main, qui prosterne tout un siècle aux pieds d’un homme : telle fut son existence depuis les légendes imposantes et sombres du berceau jusqu’à cette tombe que, par un dernier prestige, l’illustre poète s’était fait préparer en face de l’Océan, comme si tout autre voisinage eût été une insulte à ses cendres.

On peut signaler maints écarts dans la vie de Chateaubriand, maints défauts dans son caractère ; mais, dans l’une pas plus que dans l’autre, on ne saurait trouver aucune tache. Les vertus qu’il pratique n’ont rien de bourgeois ; plus éclatantes que solides, ce sont celles qui doivent le mieux rehausser et faire valoir son génie. Elles se résument toutes dans le sentiment de l’honneur, qui, à travers tant de caprices et tant d’imprudences, le préserva toujours des compromissions vulgaires. Chateaubriand joua un personnage ; il introduisit le romantisme jusque dans les affaires d’État ; il ne vit trop souvent dans la politique qu’une occasion de parade grandiose. Ses inconséquences de conduite, son amour des postures, les raffinements de sa vanité, les impatiences et les saccades de son ambition, toutes ses contradictions et toutes ses faiblesses, sont, après tout, celles d’un poète et d’un acteur ; et, si l’homme privé est en lui égoïste, orgueilleux, inégal, si l’homme public manque de tenue et de teneur, peut-être même de gravité, l’acteur et le poète prêtent à son existence tout entière, vue d’en dehors à titre de spectacle, une noblesse d’attitude et un prestige de générosité qui se sont toujours alliés chez lui à la grandeur du talent.

Chateaubriand est à la fois personnel par le caractère et « objectif » par le génie. Personnel, c’est ce que montre suffisamment son œuvre. Il y est toujours en scène. Il se