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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

viables et glorieuses. René, c’est un chevalier que poétisent sa naissance, la gloire de ses armes, ses voyages lointains et mystérieux au pays du soleil levant, c’est l’amant fascinateur qui inspire fatalement les irrésistibles passions, c’est un front que marque le sceau du génie, c’est, entre tous, le confident des dieux et l’élu de la Muse. — Et son irrémédiable tristesse ? Sans doute ; mais Oberman était la victime de l’ennui, et lui, il en est le héros.

Le christianisme de Chateaubriand, ce christianisme qui fait l’unité morale de toute son œuvre, se rattache à un idéal où la raison n’est pour rien, où le cœur lui-même est pour beaucoup moins que l’imagination. Nous ne renouvellerons pas contre lui les accusations que ses adversaires ne se firent pas faute de lui lancer quand ils virent le sceptique et le fataliste de l’Essai se poser en champion de la foi chrétienne. Nous croyons à la sincérité du poète ; nous croyons qu’il a réellement pleuré et qu’il a réellement cru, qu’il a cru parce qu’il avait pleuré. Certes, la foi de Chateaubriand n’est pas celle d’un Bossuet. Il a des défaillances, des accès de découragement. À de certains jours il est repris par ce pessimisme fondamental qui tourne chez lui tantôt à l’incrédulité absolue, tantôt à un christianisme exalté. Lui-même l’a dit : « Cette alternative de doute et de croyance a fait longtemps de ma vie un mélange de désespoir et d’ineffables délices. » Mais, si fréquentes qu’aient pu être les éclipses de sa foi, c’est la foi pourtant qui lui a inspiré son œuvre et tout particulièrement ce Génie du christianisme qu’il composait en expiation de l’Essai. Ce que nous suspectons en Chateaubriand, ce n’est pas la sincérité d’une ferveur qu’il pousse jusqu’au mysticisme, jusqu’à la superstition mythologique ; c’est la solidité, c’est presque le sérieux de la conviction religieuse.

Toute l’argumentation, dans le Génie du christianisme, est déraisonnable, absurde, puérile. La divinité de la religion chrétienne peut-elle se démontrer par les migrations des oiseaux ? Que le serpent rampe, cela suffit-il vraiment pour établir le péché originel ? Le célibat des prêtres est-il