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MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND.

bien autorisé par la virginité des abeilles ? Ajoutons aux « preuves » des descriptions de tournois et autres tableaux poétiques, des élans de sentimentalité et des accès d’enthousiasme : voilà la démonstration de Chateaubriand. À cette apologie du christianisme, c’est un roman d’amour, Atala, qui sert de préface, et l’on croit faire passer René pour une œuvre d’inspiration chrétienne en prétendant nous y montrer les funestes effets des passions dans un cœur que la grâce n’a pas touché. Mais Chateaubriand se souciait peu de verser le poison dans le calice. Du christianisme il n’a jamais vu que les beautés ». Il le traite en artiste ; il y cherche des motifs brillants, de riches décors. Le sanctuaire se convertit en musée, les Saintes Écritures en dictionnaire de mythologie. Parti pour un pieux pèlerinage dans la Palestine et au tombeau du Christ, le poète nous arrête chemin faisant, à chaque paysage historique ou pittoresque, et il nous confesse à la fin qu’il allait en Terre-Sainte se préparer des couleurs, chercher une gloire qui le fit aimer.

Prenons Chateaubriand pour ce qu’il est. Il ne compose pas un traité de théologie ; il fait une œuvre d’art chrétien, mais avant tout une œuvre d’art. Ce qu’il se propose de prouver dans le Génie du christianisme, c’est que, de toutes les religions qui ont jamais existé, la religion chrétienne est la plus poétique. À la fin du xviiie siècle, le christianisme passait pour une superstition gothique et puérile : Chateaubriand n’en démontra pas la vérité, comme l’avait jadis entrepris Pascal, il ne voulut qu’en faire ressortir les beautés sentimentales et esthétiques. Au lieu de pénétrer, comme l’auteur des Pensées, dans l’âme même de l’homme, il se prit au monde extérieur, aux belles apparences, à tout ce qui charme les sens. C’est une méthode d’artiste, opposée à celle du philosophe ; c’est la méthode « romantique ». Bonald, qui cherchait à prouver le christianisme par des faits, non par des images, par des raisonnements, non par des artifices et des prestiges, compare la religion, telle que la représente Chateaubriand, avec une reine qui se montre à son peuple dans une cérémonie