Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

solennelle, la couronne au front, tout élincelante d’or et de pierreries. L’auteur du Génie et des Martyrs ne convainc pas l’entendement, il trouble la sensibilité, il éblouit l’imagination. Dans Atala, au moment où l’on célèbre les mystères divins, « le soleil sort d’un abîme de lumières, et son premier rayon rencontre l’hostie consacrée que le prêtre, en cet instant même, élevait dans les airs » : on peut dire de Chateaubriand qu’il a doré l’hostie catholique.

Sa religion n’est en réalité qu’une esthétique. Son esthétique elle-même est celle d’un pur artiste, épris avant tout de noblesse et d’harmonie. Il a l’admiration assez large pour goûter le beau sous quelque forme qu’il se présente ; mais ses prédilections vont à la beauté classique. Le premier il a rendu sa place au xviie siècle méconnu, et, s’il le met au-dessus du xviiie, ce n’est pas seulement par aversion pour la philosophie de Voltaire et de Diderot, c’est aussi parce que l’art de Diderot lui semble inférieur à celui de Bossuet et l’art de Voltaire à celui de Racine. Cet ancêtre du romantisme veut renouveler la tradition, mais sans la déformer. Il est pour la distinction et la hiérarchie des genres ; il soutient l’unité dramatique et même les unités ; il se déclare contre le mélange du comique et du tragique ; il ne veut pas admettre le laid comme partie intégrante de l’œuvre d’art. Dès le début du siècle, il voyait le monde des lettrés divisé chez nous en deux écoles, l’une « qui n’admirait que des ouvrages étrangers », l’autre qui continuait la tradition du xviie siècle ; et c’était à la seconde qu’il se rattachait, pourvu qu’on lui permît quelques amendements. Lui-même définit son rôle quand il dit qu’« un homme marchant avec précaution entre les deux lignes, en se tenant toutefois beaucoup plus près de l’antique que du moderne », pourrait ainsi « marier ces deux écoles et en faire sortir le génie d’un nouveau siècle ».

Restaurateur du christianisme et du moyen âge, Chateaubriand est en même temps le révélateur de la beauté grecque. Son épopée catholique rajeunit la mythologie païenne avec une souveraine magie de style et de senti-