Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
62
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

avec le nuancé de Bernardin. Pas, d’aspect auquel ne se prête son génie pittoresque, pas de doux qui ne lui aient fourni quelque inoubliable tableau. Savanes et forêts vierges du Nouveau-Monde, ruines de Sparte, montagnes delà Sabine « qu’enveloppe une lumière diaphane », Terre-Sainte avec ses solitudes « où des figuiers clairsemés étalent au vent brûlant leurs feuilles noircies », désolation grandiose de la campagne romaine, « horizons bas et plats de la Germanie », Chateaubriand a parcouru le monde d’un bout à l’autre, et chacune des contrées qu’il a traversées, il en emportait avec lui l’image saisissante et définitive qu’il sait nous rendre d’un seul coup de pinceau.

On lui reproche son inexactitude. Si la fidélité consiste à reproduire trait pour trait, Chateaubriand n’est pas un peintre fidèle. Bien qu’il recherche plus que nul de ses devanciers le détail précis, souvent même le détail technique, c’est l’impression d’ensemble qu’il veut avant tout obtenir. Sans scrupule, il ajoute ou retranche à la nature ; il la corrige. Il modifie ses souvenirs, il accommode ses paysages à l’effet qu’il veut produire. Ce serait un défaut chez un géographe.

La vérité ne consiste pas dans l’exactitude matérielle de chaque petit trait, mais dans l’impression générale qui résulte du tableau. Sainte-Beuve compare un chapitre du Voyage d’Anacharsis, celui d’Athènes, au passage correspondant de l’Itinéraire. De Barthélémy et de Chateaubriand, lequel a été le plus vrai ? Nous trouvons dans le premier un guide consciencieux et bien renseigné qui nous fait parcourir la ville en nous donnant à chaque pas d’excellentes indications ; le second est un magicien qui la ressuscite à nos yeux dans tout le mouvement de sa vie, avec son théâtre, où les Sophocle et les Euripide se disputaient la couronne d’olivier, sa place publique, où semble vibrer encore l’éloquence d’un Démosthène, son Pirée, où les vaisseaux aux banderoles pointes rapportaient la pourpre de Tyr et les parfums éthiopiens. Quel est le plus vrai des deux ? C’est le moins exact.