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MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND.

Ce que nous disons du « descriptif », nous pourrions le dire de l’historien. Son œuvre tout entière, les Martyrs en particulier, dénote chez lui un sentiment de la réalité, un don d’animer et de peindre, un pouvoir d’évocation qui sont, pour ainsi dire, l’âme de l’histoire. Si l’on compare avec cette épopée où l’antiquité païenne et chrétienne vit et se meut sous nos regards les ouvrages d’érudition sèche ou de philosophie abstraite que produisaient nos meilleurs historiens, on reconnaîtra dans Chateaubriand le premier initiateur de la renaissance historique dont notre époque est si fière.

« L’imagination, a-t-il dit, est à l’érudition comme un coureur qui pousse toujours, comme un Cosaque qui fait ses pointes. » Cette parole ne saurait s’appliquer à personne aussi bien qu’à lui-même. Il a fait ses pointes ; il a été, dans le domaine de l’histoire comme dans tous les autres, l’éclaireur du xixe siècle. Quelques pages d’une épopée où il ne cherchait le vrai qu’en vue d’un effet poétique, déterminèrent en tout ce genre d’études une véritable révolution. Il suffit de rappeler l’éclatant témoignage que l’auteur des Récits mérovingiens rend à celui des Martyrs. Les in-folio dans lesquels les érudits de profession n’avaient trouvé qu’une morne poussière déroulèrent aux yeux du poète une série de merveilleux tableaux. Et c’est pourquoi, tout compte fait, il y a plus de vérité historique dans les visions de cet artiste que dans les laborieux commentaires ou dans les savantes compilations des historiens en titre. La science atteint l’exactitude, il appartient à l’art seul de saisir la vérité.

Chateaubriand n’a porté dans l’étude des faits ni suite ni désintéressement. Son érudition, si hérissée qu’elle se fasse dans telle note ou dans tel appendice, ne date sans doute que de la veille. Il l’a acquise en vue d’un profit immédiat. Le poète chez lui a précédé l’historien, et l’on peut même dire qu’il ne considère l’histoire que par son côté poétique. Mais l’historien est vrai, parce qu’il anime le spectacle des choses ; il est vrai, parce qu’il a des illumi-