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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

nations subites qui éclairent jusqu’au fond les événements et les hommes, parce qu’il embrasse d’un coup d’œil tout ce qu’une tenace et savante analyse fait péniblement entrevoir à l’érudit, parce qu’il sait quel est le mot, le geste qui résumera tout un personnage, quelle est la circonstance distinctive, le détail cru et significatif qui donnera son caractère à toute une époque ; enfin, parce qu’en devenant historien il n’a pas cessé d’être artiste et d’être poète. Comme la poésie, l’histoire a sa muse : muse de l’histoire et muse de la poésie, toutes deux se sont unies pour inspirer l’auteur des Martyrs.

Virtuose avant tout, Chateaubriand pousse le culte de la forme jusqu’à la superstition. C’est par le style qu’il est surtout admirable. Le plus hardi de nos écrivains, il a pleine conscience de ses audaces ; il ose avec une sûreté tranquille et intrépide. Cette hardiesse, il l’allie d’ailleurs, dès que la maturité calme ses juvéniles effervescences, avec une mesure toute classique. Il ne se livre pas tout entier à la fougue de son imagination. Il sait se modérer et se contenir, maîtriser tout écart qui altérerait l’harmonie des lignes ou la noblesse des formes. En même temps il dédaigne les fioritures du style ; il est trop vaillamment épris du beau pour aimer le joli ; dans sa magnificence elle-même il reste sobre comme les vrais maîtres. C’est le roi de la phrase. Il a la magie du verbe, le don des images triomphales, des périodes superbes et grandioses. Il a aussi ce secret du nombre et du rythme qui s’était perdu dans la langue des vers depuis le divin Racine, et que notre prose avait toujours ignoré. « Chateaubriand, dit Chênedollé, est le seul prosateur qui donne la sensation du vers. D’autres ont eu un sentiment exquis de l’harmonie, mais c’est une harmonie oratoire. Lui seul a une harmonie poétique. »

Écrivain de métier et de vocation, il porte un intérêt passionné à tout ce qui touche son art. Il poursuit l’épithète rare et pittoresque, il recherche jusque chez nos plus vieux auteurs l’archaïsme expressif et savoureux. Son Essai sur les révolutions renferme un chapitre, le dernier, inti-