Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

négatives de correction, de prudence, de sagesse modérée et discrète. On recommandait l’imitation des modèles sans voir qu’elle était fatalement vouée à s’affadir de plus en plus. Campistron passait pour un classique, et si quelque nouveau Cid avait alors paru sur la scène, il aurait trouvé des d’Aubignac pour le rappeler aux règles et des Scudéry pour le mettre au-dessous de Mélite. Tout en professant le respect des maîtres, la critique aurait pu le concilier avec le sentiment des conditions nouvelles que faisait à la poésie un profond changement de l’état social ; elle aurait pu maintenir son culte en élargissant le temple. Loin de lu, elle s’endormait avec sécurité dans ses admirations immobiles, sans même se préoccuper de les retremper à leur source pour leur donner au moins quelque fraîcheur de nouveauté.

Plus les talents dégénéraient, plus les règles devenaient étroites. À chaque genre étaient consacrées ses formes hiératiques, auxquelles on ne pouvait attenter sous peine de sacrilège : il n’y avait plus de beautés inconnues à découvrir, plus de place pour le génie, c’est-à-dire pour l’originalité de l’invention fécondée par l’étude directe de la nature. La critique décourageait systématiquement les plus inoffensives velléités d’émancipation. Du haut des règles confiées à sa garde, elle dogmatisait dans le vide, plus soucieuse d’imposer ses formules que de les justifier, et craignant par-dessus tout, si elle revenait sur ses traditions les mieux établies, de porter quelque dérangement dans un ordre à jamais fixé.

La poésie de cette époque a perdu toute sève. Lebrun est le dernier représentant du lyrisme classique : sauf de rares bouffées d’inspiration, rien de plus froid et de plus stérile que son œuvre. L’ode, chez lui, a toujours quelque chose de raide, et les beaux mots qu’elle recherche ne peuvent faire illusion sur le vide des pensées et la sécheresse des sentiments. On y sent partout une industrie laborieuse. Son génie âpre et tendu n’aspire au sublime que pour se fourvoyer dans le déclamatoire. Que reste-t-il de lui ? À peine quelques strophes, qu’une certaine hauteur de style a sauvées de l’oubli.