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LES PSEUDO-CLASSIQUES.

tortures, des cris qui feraient trop mal à voir et à entendre dans une salle d’hôpital » ; on se plaignait que « la toile se levât au dernier acte sur les féeries d’un bal de l’Opéra et qu’elle s’abaissât sur un spectacle digne de la Morgue ». Une pétition fut adressée à Charles X pour qu’il fît interdire la pièce, et cette pétition était signée par plusieurs des poètes qui, depuis le commencement du siècle, avaient eux-mêmes cherché à rajeunir notre théâtre classique.

Le « prince de la poésie », au début du siècle, c’est Delille. La plupart de ses ouvrages, beaucoup même de ceux qu’il publia de 1800 à 1813, avaient été composés quelques années auparavant ; il n’en est pas moins vrai que son nom domine toute l’époque impériale, et rien ne la caractérise mieux que l’enthousiasme universel pour ce versificateur descriptif et didactique. Il parut dans son temps comme un nouvel Homère. Il fut égalé, préféré même, aux maîtres du xviie siècle. S’il se rattache encore à eux, ne serait-ce que par l’intermédiaire de Louis Racine, s’il essaie de soutenir leur héritage et s’il croit continuer leurs traditions, son œuvre nous montre de la manière la plus frappante comment cet héritage s’est peu à peu dégradé, comment ces traditions de la grande école classique se sont altérées et perverties.

Le poème didactique, tel que l’entend Delille, est aussi étranger à la véritable poésie que peut l’être l’art du tourneur. Nulle émotion humaine n’y a place. Le seul mérite consiste dans la main-d’œuvre. Chez les poètes dignes de ce nom, la description s’associe soit à un sentiment personnel qui l’anime et la colore, soit à des conceptions philosophiques du haut desquelles ils jettent un regard profond sur la nature et sur l’homme. Rien de tel chez les pseudo-classiques : ils décrivent pour décrire ; ils font métier de versification ; ils s’imposent des difficultés gratuites pour le seul plaisir d’en triompher. Delille n’a jamais fait que lier bout à bout des « morceaux choisis ». Ce ne sont pas seulement les printemps et les hivers, les aurores et les couchers de soleil ; — ces matières faciles, on dédaignerait de les traiter, si l’on