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LE ROMANTISME.

semblé se dissoudre. Selon Mme de Staël, la division des deux genres, classique et romantique, « se rapporterait aux deux grandes ères du monde, celle qui a précédé l’établissement de la religion chrétienne et celle qui l’a suivi ». C’est là sans doute une explication bien absolue ; mais elle reste aussi vraie que profonde, si l’on veut en saisir l’esprit sans en trop presser le sens littéral.

Dans les premières années du xixe siècle, tandis que ceux dont les opinions s’étaient formées avant les grandes crises sociales, appartenaient en général à l’école voltairienne, les générations plus jeunes étaient animées d’un tout autre esprit. Surmenées par des événements terribles, associant dans leur âme profondément troublée et les sombres tristesses d’un passé que tant de convulsions avaient jonché de décombres et les pressentiments obscurs d’un avenir encore gros de tourmentes, elles avaient trouvé au fond d’elles-mêmes, avec le sentiment de leur incurable lassitude, le vague désir de se rattacher à quelque croyance qui fît luire à leurs yeux un rayon d’espoir. Je ne sais quelle sentimentalité vague et flottante troublait le cœur sans en remplir le vide et opprimait la conscience sans en satisfaire les besoins. Dans l’anarchie morale à laquelle les âmes étaient en proie, un invincible élan les poussait, avides à la fois et incapables de croire, vers cette religion chrétienne qui, dix-huit siècles auparavant, avait déjà régénéré une société non moins vieille et non moins caduque.

La restauration du culte avait été, dans la pensée du premier consul, une œuvre toute politique ; il ne considérait le Concordat que comme un moyen de domination morale et la religion que comme un auxiliaire de la police. Le rétablissement du catholicisme n’en fut pas moins accueilli par des acclamations presque universelles. Ce n’est pas que la France redevînt catholique ; mais elle était si fatiguée de l’incrédulité moqueuse et du scepticisme aride où s’était complu la philosophie du xviiie siècle, qu’elle se tournait avec joie vers la religion, sinon pour en accepter les dogmes, tout au moins pour y chercher un aliment à ses besoins