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LE ROMANTISME.

cible goût du mystère, fait place, sinon à la foi, du moins à l’émotion religieuse, à ce sentiment de respect qui est encore une sorte de piété. Les représentants de l’école théocratique ont beau accuser Chateaubriand de trahir la cause qu’il prétend défendre, de dissoudre son christianisme voluptueux en vagues rêveries, de le réduire à des imaginations poétiques et à des légendes, d’en compromettre par un usage profane l’auguste et sévère sainteté : ce qui est certain, c’est qu’il inaugure dans l’art et la poésie une révolution profonde, en opposant à la renaissance païenne du xvie siècle qui avait perdu toute fécondité, une renaissance du spiritualisme chrétien, au sein de laquelle notre littérature nouvelle devait éclore.

Tout le temps que dure l’Empire, à part Chateaubriand et Mme de Staël, précurseurs d’une rénovation qui ne saurait tarder, nous n’avons trouvé qu’une poésie énervée et languissante, dont les représentants s’évertuent en vain à ranimer l’inspiration classique épuisée. Dans le fracas des événements, la génération contemporaine ne peut pas rentrer en elle-même. Dès qu’un peu de calme lui permettra de se recueillir, va naître la poésie nouvelle qui a sourdement germé dans tous les cœurs pendant la tourmente impériale, et dont une atmosphère moins rude amènera du jour au lendemain la floraison toute spontanée. Le romantisme se rattache directement à cette renaissance du sentiment chrétien qui a eu Chateaubriand pour grand initiateur. Parmi les poètes de la jeune école, il n’en est pas un dont la vocation ne porte une empreinte chrétienne. Victor Hugo considère la religion non seulement comme la source la plus féconde des inspirations poétiques, mais comme la plus haute forme de la pensée humaine. Ses odes sont pénétrées d’un esprit tout catholique : il se plaint que « les poètes nationaux de la France aient été jusqu’ici des poètes païens », et cette Croix, « dressée par Chateaubriand sur toutes les avenues de l’intelligence humaine », il en fait l’emblème et le drapeau de la réforme poétique qu’il associe étroitement au réveil du sentiment religieux. Dans