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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

la préface de Cromwell, qui fut le manifeste du romantisme, toute sa philosophie littéraire a pour point de départ une conception chrétienne sur laquelle il établit la théorie du drame romantique, unissant le sublime au grotesque comme l’âme est unie au corps. Lamartine a été l’interprète harmonieux « d’un idéal qui confine au christianisme dans ses ravissements les plus tendres et dans ses élévations les plus ferventes ». C’est d’un cœur croyant que lui vient la sérénité ; alors sa poésie s’épanche en larges nappes comme un fleuve paisible qui reflète le ciel ; la source de ses vers a jailli sur les hauts-lieux mystiques, d’où l’apaisement et la consolation descendent en lui. Quand il laisse échapper des notes plaintives, ou même des accents de révolte, c’est la douleur de ne pas croire qu’il exprime, c’est la dévorante anxiété du doute, l’épouvante des ténèbres auxquelles une éclipse passagère de la foi a livré son âme. Alfred de Vigny est tout d’abord le « chantre des mystères », le peintre des tableaux bibliques ; il porte au front comme une auréole, et c’est dans un sanctuaire qu’il élabore sa poésie d’archange toute parfumée d’encens. Quant à Alfred de Musset, il a beau, fanfaron d’impiété, revenir au persiflage du xviiie siècle, les premiers troubles de la passion lui arrachent des cris désespérés, des cris de souffrance et de détresse que le scepticisme voltairien n’a jamais connus. Malgré lui, l’infini le tourmente ; il invoque ce Dieu auquel il ne croit plus, et, quand son cœur révolté éclate en malédictions, ces malédictions elles-mêmes ont l’accent d’une prière.

Sous l’influence des croyances spiritualistes et chrétiennes, la poésie de notre siècle revêt un caractère subjectif complètement étranger à l’art classique. Après les crises terribles de la Révolution, après les sombres légendes de l’Empire, dont l’apothéose sanglante venait de s’abîmer dans un immense désastre, les âmes, sollicitées par la préoccupation des choses éternelles devant ces formidables vicissitudes qui étalaient à tous les yeux les caprices et les ironies de la destinée, firent un retour sur elles-mêmes, se replièrent dans l’asile du monde intérieur et y trouvèrent cette veine