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LE ROMANTISME.

d’inspirations personnelles, si féconde chez nos poètes romantiques.

Chateaubriand s’était peint lui-même en tous ses héros depuis Chactas et René jusqu’à Aben-Hamet et Eudore ; Mme de Staël s’était confessée au public sous le voile transparent des personnages que ses romans mettaient en scène. Lamartine n’a jamais fait que chanter sa propre âme. Alfred de Vigny recule ses poèmes dans un horizon lointain ; mais nous devinons sa personnalité à travers les symboles dont elle s’enveloppe, et, de quelque détour qu’il use, c’est lui que nous retrouvons toujours, et sous les traits de Moïse, accablé par une supériorité qui l’isole du reste des hommes, et sous ceux de Chatterton, martyr d’une vocation dont sa sensibilité maladive fait le plus cruel des supplices. Parmi les poètes de la première génération romantique, Victor Hugo est assurément celui dont le génie dominateur a le plus de force objective. Mais, si son âme aux mille voix est comme l’écho sonore du monde extérieur, le monde invisible que porte en lui-même chaque poète n’a jamais eu d’organe plus vibrant et plus ému. S’il met dans ses drames et dans ses romans « l’histoire et l’invention, la vie des peuples et celle des individus », c’est sa propre vie qu’il met dans ses poèmes, chants d’amour coupés de plaintes, hymnes de foi et d’enthousiasme, cris de doute et de désespoir, reflet tantôt éblouissant, tantôt sinistre des événements contemporains, joies et tristesses, rayons et ombres, le chœur tout entier des voix intérieures. Quant à Alfred de Musset, d’où jaillissent ses chants immortels, qui sont de purs sanglots ? Sa poésie, c’est lui-même, c’est sa chair et ses entrailles, c’est le cri qui sort des lèvres de sa blessure. Tous les lyriques de notre siècle se révèlent à nu dans les plus secrètes profondeurs de leur intimité ; la lyre dont ils s’accompagnent a pour cordes les fibres mêmes de leur cœur.

Jusque chez les plus forts, c’est la note triste qui domine. Je vois les feuilles d’automne qui jonchent le sol ; mais où est la gaie verdure du printemps ? J’entends les chants