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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

mélancoliques du crépuscule ; mais où sont les hymnes joyeux, de l’aurore ? Si quelques rayons se font jour à travers la brume de l’atmosphère, ils sont aussitôt voilés par les ombres qui s’épaississent. Le sentiment de tristesse qu’exhale la poésie romantique était ignoré de l’antiquité païenne. Virgile a connu ces « larmes des choses », cet attendrissement vague, cette rêverie dolente, où nos lyriques modernes se sont complu. Mais ce ne sont chez lui que des impressions passagères, et d’ailleurs ce poète, dont le moyen âge faisait un saint, semble avoir été touché par quelque reflet de l’aube chrétienne. Avec le christianisme et par lui s’inocule à l’âme humaine cette disposition plaintive que nous appelons la mélancolie. Dans la civilisation antique, la vie s’épanouit en toute félicité. La poésie est une vocation heureuse et triomphante qui s’allie avec le développement harmonieux, avec le robuste équilibre de toutes les facultés. Elle voit dans la nature le riant domaine de l’homme, elle en glorifie les forces, elle les divinise. Elle est un cantique de joie et de bonheur que la jeune humanité chante à la terre féconde et au ciel radieux. Le christianisme dénonce aux hommes leur faiblesse et leur misère ; il leur apprend à s’asseoir dans la nuit de leur cœur pour méditer sur le néant des choses ; il mêle l’idée de la mort à tous leurs plaisirs ; il les tient courbés sous la pensée de l’infini qu’ils découvrent non seulement dans la nature inconsciente, mais encore au fond d’eux-mêmes, dans le rêve d’un idéal auquel ils ne peuvent ni atteindre ni renoncer.

La littérature classique, que l’esprit chrétien ne pénêtre pas, est étrangère, comme celle de l’antiquité, aux tristesses confuses, aux agitations inquiètes, aux langueurs troublantes de l’âme moderne. Le mot lui-même de mélancolie s’appliquait à un état maladif du corps. Vers le début du xixe siècle, quand la terre tremble encore de terribles commotions, quand la forme incertaine de la société future se dérobe à tous les regards dans un lointain menaçant, il sort des douleurs qu’enferme le passé, des périls que recèle l’avenir,