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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

a déposée dans son âme. Tous les romantiques expriment ce qu’il y a d’incomplet dans la destinée ; nous trouvons à leur poésie un arrière-goùt d’amertume ; nous y sentons la nostalgie d’un ciel dont le dieu tombé se souvient toujours. S’ils chantent, c’est parce qu’ils ont pleuré, et la sérénité même des plus forts est voilée par les tristesses d’un pessimisme dont les ombres descendent, toujours plus allongées, toujours plus épaisses, sur le chemin mystérieux de la vie.

Dans ses heures de désenchantement et de doute, le poète, lassé des hommes, cherche un refuge au sein de la nature, « Ce qu’on entend sur la montagne », c’est, du côté de la terre, un bruit confus et discordant où passent l’injure et l’anathème, une rumeur faite de gémissements et de sanglots ; c’est, du côté de la mer, une symphonie d’accords éclatants, un concert de suaves murmures, une musique ineffable et profonde où chaque flot a sa voix et qui s’épanche en orbes infinis jusqu’au trône même de Dieu : d’une part, le cri désespéré du genre humain, de l’autre, l’hymne béni et triomphal de la nature. La nature console ou berce tout au moins l’immortel ennui de René ; en elle Lamartine cherche l’oubli ; devant elle seule, Victor Hugo sent, aux jours de deuil, l’apaisement et la résignation entrer dans son âme. Quelque profond que soit son isolement, la création enveloppe le poète ; il ne saurait s’en abstraire ; « un chant répond toujours en lui au chant qu’il entend hors de lui ». Certes, la nature a aussi ses mélancolies et ses soupirs ; mais notre cœur, envahi par la tristesse, trouve encore quelque allégement à se sentir en communion avec le monde extérieur. Il voit dans la création une confidente ; il l’aime et pour tout ce qu’elle reçoit de lui, pour tout ce qu’il y a pieusement déposé de souvenirs et de regrets, et aussi pour tout ce qu’il reçoit d’elle, pour tout ce qu’elle fait passer en lui d’émotions fortifiantes ou doucement attendries.

Ce sentiment de la nature est l’inspiration la plus féconde de tous nos romantiques. « Nul, a dit le plus grand, ne se