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LE ROMANTISME.

dérobe eu ce monde au ciel bleu, aux arbres verts, à la nuit sombre, au bruit du vent. » La nature pénètre jusqu’au sein du drame : le théâtre représente un paysage agreste, le bord d’un fleuve, la terrasse d’un parc ; tel meurtre a pour cadre une grève sinistre sous un ciel que l’éclair sillonne, tel duo d’amour un beau soir d’été qu’éclairent discrètement les premiers rayons de la lune ; on voit sur la scène des forêts et des rochers, on y entend chanter les oiseaux. Quant à la poésie lyrique, elle s’abreuve tout entière à deux sources, l’homme et la nature, et ces deux sources mêlent leur courant : l’homme prête à la nature quelque chose de lui-même, et la nature, à son tour, s’insinue au cœur de l’homme par mille voix secrètes. Que ce soit l’ivresse mystique de la solitude et du silence ou le bruyant écho du tumulte des choses, un soleil qui se lève ou se couche, une fleur qui s’épanouit ou se fane, le joyeux murmure des nids ou le soupir du vent à travers les feuilles jaunissantes, — bois, champs, nuages qui volent, eaux agitées ou dormantes, sons, parfums et couleurs, l’univers se réfléchit dans la poésie romantique comme dans l’âme de l’homme qui en est le miroir vivant.

C’est Rousseau qui révéla à notre littérature cette veine nouvelle ; il fut le premier prêtre du culte que la poésie contemporaine rend à la création. Après lui, Bernardin de Saint-Pierre découvrit la nature tropicale et les mornes de l’Île de France, Chateaubriand prit possession des savanes et des forêts vierges du Nouveau-Monde. Il semblait que l’immensité solitaire des déserts exerçât une sorte de sauvage attrait sur des âmes lassées et dégoûtées des conventions de la vie civile.

Si, dans le domaine social, Rousseau oppose l’état de nature aux misères d’une humanité dégradée, dans le domaine des lettres et de la poésie, le romantisme, dont il fut l’initiateur, demanda à l’ingénuité des premiers âges ces productions toutes spontanées que n’adultèrent pas les artifices du talent. On recueillit les légendes, les romances, les épopées anonymes ; on préféra les vierges senteurs d’une